Spiritualité Chrétienne

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Le Serviteur de Dieu Francisco Da Cruz, suite

 Le serviteur de Dieu Francisco Da Cruz, suite

Toujours avec son inséparable chapelet ...


Les contemporains appellent le Père Cruz « l'homme du Rosaire », « l'homme qui propageait sans cesse le Rosaire », « l'homme qui avait toujours en main son inséparable chapelet. » Sans cesse le Père Cruz récitait le Rosaire et le propageait dans ses prédications. Le chapelet, conseillé avec instance par le Vicaire du Christ, le chapelet quotidien, demandé explicitement par Notre-Dame à Fàtima, n'est-il pas, en effet, pour la majorité des chrétiens, le moyen facile et pratique d'assurer la persévérance dans la prière ? Aussi la grande et principale prédication du Père Cruz était l'explication des mystères du Rosaire. En toute occasion, dans les paroisses, tous les jours, il le récitait et le commentait. Oui, il récitait le chapelet, ou, plus exactement, il prêchait le Rosaire. Il faisait précéder chaque dizaine d'une méditation plus ou moins développée sur le mystère. Dans ces méditations, toujours en harmonie avec les textes évangéliques, s'entremêlaient les élévations pleines d'ardeur, les considérations les plus opportunes, les invitations les plus pressantes à imiter les vertus proposées dans le mystère. Et ceci d'une manière admirablement adaptée. « Souvent, quand l'orateur avait achevé le chapelet, remarque, non sans une pointe de malice Monseigneur Freitas, on pouvait dire que sa prédication était terminée. Car, dans les explications qui précédaient la récitation de chaque dizaine, le Père avait fait passer toute la doctrine chrétienne, depuis la création jusqu'au jugement dernier ! » ; mais qu'elle émotion à la fin de la récitation de la dizaine ! Une fois le Pater, les dix Ave, et le Gloria récités, le Père ajoutait quelques oraisons jaculatoires, entre autres celle-ci, qu'il avait toujours sur les lèvres : « Tout pour Vous, Cœur Sacré de Jésus ! » Or avant de la proférer, il levait d'abord les yeux au ciel, ensuite il soupirait profondément comme quelqu'un qui ne peut comprimer la flamme intérieure qui le dévore, puis il articulait lentement les syllabes en accentuant avec amour le mot « Vous ». Les fidèles étaient fortement impressionnés par cette sorte de « décharge » surnaturelle et vivement émus.


Son amour du Rosaire... Quand on lui présentera pour la première fois les petits Bergers de Fàtima, il commencera par réciter avec eux un premier chapelet. Et quand, monté à califourchon sur son ânesse, il sera parvenu sur les lieux mêmes de l'Apparition, à la Cova da Iria, il récitera un second chapelet, à haute voix, avec les trois Voyants. Sa dévotion au Rosaire se manifeste en toute occasion. « Vers 1922, écrit le Curé de Saint-Mamede, j'eus l'honneur d'accompagner Son Éminence le Cardinal Patriarche Mendes Belo au cours de sa visite pastorale dans la paroisse de Sào Domingos de Carmôes. « Le vénérable Prélat, presque octogénaire avait passé la plus grande partie de la journée à l'église, assistant à la messe solennelle, administrant le sacrement de confirmation, prêchant et présidant les autres exercices. Parmi les assistants, on remarquait le Père Cruz qui, après avoir assuré le Triduum préparatoire, donnait libre cours à son zèle et à sa piété, confessant, bénissant, se prodiguant à tous. Beaucoup tenaient à lui baiser la main, car le bruit courait qu'il obtenait du ciel des grâces sans nombre, même des miracles. La nuit tombait lorsque la visite épiscopale prit fin. Le Cardinal, visiblement épuisé, monta dans sa voiture pour regagner Lisbonne. A la sortie du bourg, l'automobile s'arrêta brusquement. Le Père Cruz apparut à la portière et, très humblement, sollicita une place. Le Cardinal acquiesça volontiers et fit asseoir le Missionnaire près de lui. Le voyage se poursuivit. Mais on n'avait pas fait trente mètres que le Père Cruz rompit le silence : « Votre Éminence sait-elle que je n'ai pas encore récité mon chapelet ? Je vais donc, si elle veut bien me le permettre, le réciter en mon particulier. » Il commença aussitôt, mais de telle manière qu'il fut impossible à ses compagnons de ne pas répondre. La route étant défoncée, le trajet dura environ deux heures. Quand la voiture s'arrêta enfin, entre onze heures et demie et minuit, devant le palais patriarcal, le Serviteur de Dieu entamait la dernière dizaine de son neuvième chapelet... A peine dans le vestibule, il demanda la permission d'achever, puis remercia Son Éminence en termes très délicats et se retira. Le Patriarche me pria alors de reconduire le Père jusqu'à son domicile, qui était tout proche. Quand la voiture déboucha dans la rue Renato Baptista, le saint Missionnaire remarqua que la chapelle donnant sur cette rue était encore ouverte. Il fit signe au chauffeur de s'arrêter et entra juste à temps pour recevoir la bénédiction du Très Saint Sacrement qui clôturait le salut. Après avoir répondu aux louanges eucharistiques, il se leva et exposa aux fidèles, d'un ton pénétrant, toutes les grâces qu'avait values à la paroisse Sào Domingos de Carmôes la visite pastorale. Alors, afin de remercier le ciel, il commença sans désemparer un de ses fameux Chemin de Croix. Voilà le Père Cruz pris sur le vif. « Travaillons, travaillons sans cesse, répétait-il aux prêtres. Satan ne se repose ni jour, ni nuit. Notre devoir est de confesser tant qu'il y a des pénitents ; de prêcher, dès qu'il y a des auditeurs ; de prier à n'en pouvoir plus. »


Le Père Cruz voyait tout à travers la foi. Aussi, même et surtout dans les contrariétés, la volonté de Dieu demeurait son unique règle d'action. Cette foi restait vivante et alimentait sa piété, on le constatait au profond respect avec lequel il articulait la doxologie : Gloria Patri, et Filio, et Spiritui sancto ... Sa maxime favorite nous est connue : « Dieu gouverne le monde, mais notre prière gouverne Dieu. » L'assiduité du Serviteur de Dieu à visiter les églises où il y avait « Lausperene » était bien connue, mais sait-on qu'il lui arrivait de pleurer à chaudes larmes, de sangloter comme un enfant lorsqu'on l'en empêchait à cause de sa santé ? Quand la sainte Réserve était conservée sous le toit qui l'abritait, le Père se levait la nuit, ou du moins de très grand matin, pour aller adorer « Jésus-cache ». Dans la journée, en chambre, il évitait de s'asseoir le dos tourné à la chapelle. Après avoir célébré le Saint Sacrifice, il prolongeait son action de grâces, ne permettant pas qu'on l'interrompît à pareil moment. Il aimait assister à une seconde messe, et l'offrait en réparation pour ceux qui n'y assistent jamais.


Quant au Sacré Cœur, le Père s'employa partout à promouvoir son culte, propageant dans le même dessein l'Apostolat de la Prière et la consécration des familles. Toute sa vie, il demeura singulièrement attentif au grand devoir de la réparation, exact à célébrer pieusement les premiers vendredis du mois et la fête du Cœur de Jésus, prêchant d'innombrables sermons et triduums en son honneur. Le Père possédait un autel portatif, don d'un missionnaire, et avait reçu la faculté de célébrer partout où il le voulait. Il pouvait de la sorte offrir le Saint Sacrifice dans les nombreux foyers où on l'appelait pour y introniser le Sacré Cœur et ne manquait pas d'y faire une allocution sentie. Le Père Cruz ne pouvait lire l'Évangile de la Passion de Notre Seigneur Jésus-Christ sans être ému jusqu'aux larmes. Chaque vendredi, à quinze heures, il laissait toute autre occupation pour se rendre à la chapelle et prier en souvenir des cinq plaies du Christ. Il composa un chemin de la croix, rempli d'onction, dont le texte se répandit dans le Portugal. Lui-même le faisait chaque jour, seul ou avec les fidèles, dans les églises, en voyage, au lit lorsqu'il était malade. Durant les insomnies de sa dernière maladie, on lui voyait fixer les yeux longuement sur le crucifix. Ses saints de prédilection étaient saint Joseph, qu'il nommait « le plus grand de tous », saint François-Xavier, son recours habituel pour les faveurs sollicitées, saint Ignace, l'homme qui ne chercha que Dieu en toutes choses, enfin sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus, en l'honneur de laquelle il composa une prière. Citons, ci-dessous, la prière qu'il adressa au Cœur Immaculé de Marie et qu'on a trouvée dans ses papiers de retraite spirituelle. Tout ce qu'il y a sollicité, remarquons-le bien, il l'a obtenu, et ce ne sont pas des grâces de second ordre que celles de garder immuablement l'horreur souveraine du péché, de posséder une foi vive, une espérance ferme, une charité ardente, tout cela couronné par le don qui fait les apôtres, le don de rayonner ces vertus et de les communiquer aux âmes.


Prière au Cœur Immaculé de Marie composée par le Père Cruz


« Doux Cœur de Marie, soyez mon salut. Obtenez-moi de la Très Sainte Trinité le pardon de tous mes péchés, la grâce d'avoir toute ma vie une foi vive, une espérance ferme et une charité ardente, et aussi le don de communiquer ces vertus à beaucoup d'âmes ; obtenez-moi les secours pour penser, dire, écrire, discerner et exécuter toujours et uniquement ce qui est conforme à la Très Sainte Volonté de Dieu ; la grâce d'éviter tout péché délibéré, même véniel, et de résister sur-le-champ à toutes les tentations ; la grâce de réaliser avec pureté d'intention tout le bien que je puis et dois réaliser, de supporter avec patience et même avec joie toutes les peines et souffrances, de m'efforcer d'avancer toujours dans le chemin de la perfection, de suivre les exemples des saints du ciel et des âmes particulièrement justes qui sont sur la terre ; enfin la santé de l'âme et du corps, les forces nécessaires pour travailler à glorifier Dieu et à sauver les âmes ; la grâce de n'avoir jamais besoin d'être opéré et celle de conserver jusqu'au bout un jugement sain, me permettant de vous aimer beaucoup jusqu'à mon dernier soupir et d'être l'instrument de la Bonté divine pour faire beaucoup de bien durant ma vie, à ma mort et après ma mort. Enfin daignez, du haut du ciel, bénir tous ceux que je bénis sur la terre. »


Il y a des pauvretés qui sont richesse, soit parce qu'elles diminuent le nombre des servitudes, soit parce qu'elles élèvent et libèrent l'âme. La vie du Père Cruz nous offre comme un reflet de cette pauvreté opulente. Peut-être aidera-t-elle certaines âmes à mieux saisir l'aspect richesse de la pauvreté chrétienne, laquelle est basée sur la foi en la Providence telle que le Christ l'a décrite. Si nous accordons pleinement notre foi et notre confiance à Dieu, notre Père, si nous savons sortir de nous-mêmes et nous abandonner, placer en lui le centre de nos aspirations, de nos intérêts, de notre assurance même, alors ce Père incomparable se chargera de tout dans notre vie et pourvoira à nos innombrables besoins, matériels ou spirituels, intellectuels ou affectifs. Si nous faisons passer avant toutes choses « son Royaume et sa Justice », le reste sera accordé par surcroît. C'est cette affirmation du Christ qui éclaire pour un chrétien la vraie notion de la Providence. Nul ne fut plus détaché que le Père Cruz de l'argent et des biens matériels, mais ce détachement devait lui acquérir une sympathie universelle qui se traduisait en toute occasion et de façon fort tangible. Lui-même, dans une de ses ouvertures de conscience, a conté très simplement comment il fut amené au détachement : « "Mes Pères, dit un jour le Patriarche de Lisbonne, don José Neto, soyez toujours honnêtes et désintéressés, et Notre-Seigneur ne vous manquera jamais". Je fis de cette parole ma règle de vie et m'y suis toujours conformé. [...] A la mort de mon père, continue le Serviteur de Dieu, j'ai tout donné à ma sœur, sans rien garder pour mon usage. Eh bien, malgré cela, le Bon Dieu me permet de faire l'aumône aux pauvres. Si j'ai besoin de quelque chose pour mon usage personnel, je fais confiance en la Providence.


Plus fort que l'anarchiste Ferrer...


L'anarchiste Ferrer, célèbre à Barcelone au début du XXème siècle, s'était juré de ne pas réserver son effort de propagande pour les grandes occasions, mais de profiter de tout, même d'un simple trajet en tram, pour se faire des adeptes. Le zèle du Père Cruz dépassait le sectarisme d'un Ferrer. « Un beau matin de printemps, en 1921, raconte encore Monseigneur Freitas Barros, je reçus une lettre du Père Cruz : "Très cher, nous allons travailler trois jours à Roliça. Dimanche aura lieu dans cette paroisse la visite pastorale de notre Évêque. Je vous attends donc ce soir, à la gare de Terres Vedras." Je me rendis à l'appel de mon vénéré collègue et pris le train à Lisbonne. A la station de Cassera, je fus surpris de voir monter le Père Cruz. L'arrêt étant très court, j'attendis pour le rejoindre la station suivante, un quart d'heure plus tard. Alors, je restais un moment interdit. Jamais je n'avais vu pareille scène. Au centre du wagon, revêtu d'une étole violette, le Père tenait dans la main droite un crucifix et dans la main gauche son inséparable chapelet. Il prêchait, devant quinze ou vingt voyageurs attentifs, le Chemin de la Croix, avec la même aisance que s'il se fut trouvé dans une église. Les yeux brillants, le visage animé, le Père irradiait comme une sorte de fluide surnaturel qui conquérait les cœurs. Rien ne le décontenançait : ni le va-et-vient aux arrêts du train, ni la fumée qui parfois envahissait le wagon, ni les sourires d'une demi-douzaine de voyageurs dominés par le respect humain. Les autres s'étaient découverts et priaient à haute voix. Ici et là, des larmes perlaient aux paupières. Ce n'était pas un Chemin de Croix pour gens pressés, mais un vrai Chemin de Croix de retraite. « Confessez-vous, conseillait-il, au moins une fois chaque mois ; faites une confession générale de toute votre vie ; dites le chapelet de Notre-Dame tous les Jours et si vous le pouvez en famille ; dans une maladie grave, ne recevez pas la troisième visite du médecin sans demander les Sacrements ». C'est dans cette ambiance de foi et d'amour de Jésus crucifié, que nous arrivâmes à la gare de Saint-Mamede. Nombreux furent les voyageurs qui vinrent alors remercier affectueusement l'extraordinaire prédicateur et lui baiser la main. Parvenus à Roliça, nous aperçûmes le Curé qui nous attendait sur la place devant l'église. « Père Cruz, dit le prêtre, le souper est prêt. Nous n'avons pas une minute à perdre. L'ouverture du triduum va commencer dans une demi-heure. Avec autant de délicatesse que d'humilité : « Monsieur le Curé, fit observer le Père Cruz, nous sommes venus ici pour travailler. Si vous voulez bien nous accompagner à l'église et faire sonner les cloches, nous commencerons sans tarder. » Pressant le pas, le Père s'achemine lui-même vers l'église.


La nuit tombait déjà et les gens rentraient des champs. La sonnerie en attira une cinquantaine. Le Père Cruz, selon sa coutume, commença à réciter le chapelet ou, plus exactement, à prêcher le Rosaire. L'office s'acheva vers 10 heures. C'est seulement une demi-heure plus tard que l'excellent Curé réussit enfin à faire asseoir le Père Cruz et à lui faire accepter une légère collation. C'était l'époque où toute cette région était travaillée par une intense propagande antireligieuse. On fit la prière du soir en commun. Puis, le Père Cruz, visiblement fatigué, gagna sa chambre. Une heure ne s'était pas écoulée, qu'il entra dans la pièce où je dormais. Il m'éveilla. « Compagnon, compagnon, me dit-il, levez-vous. Prions. C'est l'heure de l'Agonie de Notre-Seigneur au Jardin des Oliviers. Faisons l'Heure Sainte. » Alors, à genoux sur les carreaux de la chambre, il commença une longue heure d'oraison, entrecoupée de clameurs étouffées, de gémissements, de brûlantes oraisons jaculatoires pour consoler le Divin Maître et réparer. L'Heure Sainte achevée, il me salua en souriant et partit. Deux heures ne s'étaient pas écoulées qu'il revint de nouveau dans ma chambre. Il me réveilla pour la seconde fois :« Compagnon ! C'est l'heure des grands pécheurs. Que de reniements atteignent le Divin Maître ! Que de Judas autour de nous, dans les environs ! »Et pour la seconde fois, à la faible lueur d'une petite lampe à huile qui projetait sur les murailles des jeux d'ombres impressionnants, la voix du saint Missionnaire s'éleva suppliante. Au loin on percevait le chant des coqs. Le Père priait et sa prière se faisait plus instante. Quand il se releva, j'aperçus des gouttes de sueur qui tombaient de son front. La scène se répéta une troisième fois aux premières lueurs de l'aurore, alors qu'on entendait déjà le roulement des charrettes et les pas des travailleurs partant aux champs. « Maintenant, dit le Père Cruz, prions pour que les habitants de cette paroisse viennent assister aux prédications et ne méprisent pas les avances du Seigneur. »


Les veilles du pieux Missionnaire se renouvelèrent le lendemain et encore le surlendemain. On comprend qu'après de pareilles semailles les fruits recueillis aient été miraculeux. Un jour à la fin d'un triduum, le Père annonça que son départ aurait lieu dans un quart d'heure, puisque la mission était terminée. Il passa par la sacristie, salua le curé et s'apprêtait à gagner le train, où sa place était retenue, lorsqu'arrive un jeune avocat de la localité, qui passait pour incrédule ou peu s'en faut. « Père, cela m'a fait du bien de sentir votre foi en Dieu et votre amour pour les pauvres. Est-ce que... » L'homme de Dieu ne le laissa pas achever, mais lui prit affectueusement les mains et le conduisit dans un coin de la sacristie. Là, il le fixa avec ce « sourire angélique » qui frappait tout le monde, prononça quelques mots à voix basse et lui fit signe de s'agenouiller. Puis ce fut le coup de filet... le grand geste de la cape. La confession commençait. Car le Père, pour confesser les hommes, enlevait son surplis, revêtait sa grande cape, puis se penchait sur le pénitent comme s'il voulait l'embrasser et mieux recevoir ses aveux. Au loin, le sifflet strident de la locomotive rappelait au Père que sa place était retenue dans le train. Mais le départ ne l'intéressait plus. Dans ce coin de sacristie, sous un grand crucifix de marbre, s'opérait le salut d'une âme. Il s'y opérait si bien que, depuis lors, le jeune avocat, à la manière de Charles de Foucault, se convertit tout de bon et se mit à la communion quotidienne. En un clin d'œil la nouvelle fit le tour de la cité. Au Portugal aussi, les langues sont déliées, et pas seulement celles des femmes. La pêche miraculeuse ne faisait que commencer. L'un après l'autre, plusieurs gros poissons vinrent donner dans les mailles du filet, ou plutôt dans la fameuse cape. Bref, toute la soirée se passa à entendre les confessions.


Un autre jour, notre Missionnaire s'arrêta chez des amis, dans une bourgade de la basse Beira. Un quart d'heure avant le repas, arrive un médecin ; il vient faire une piqûre au Père qui se sent épuisé et doit commencer dès le lendemain un triduum. Tous deux passent dans une chambre voisine, mais vingt, trente, quarante minutes s'écoulent sans que la porte s'ouvre. Enfin, le médecin apparaît, radieux : « Vous étiez inquiets ?... Je le comprends. Excusez-moi pour le retard, mais vous n'imagineriez jamais ce qui m'est arrivé... Je venais donner une injection, et... c'est moi qui reçois une absolution, la première absolution de ma vie. » On pourrait multiplier les faits et des plus pittoresques.


Au cours d'une prédication, tous les habitants étaient venus se confesser, tous sauf un, ivrogne invétéré. Il n'en fut pas quitte pour autant. Informé, le Père se mit en route sur le champ et marcha droit à son logis. Notre homme, l'apercevant de loin, courut se cacher. Stratagème inutile. Le chasseur d'âmes, explorant maison, étable et grenier, finit par découvrir son gibier. Le « sourire céleste » et quelques mots paternels firent le reste. Avec cela une simplicité et une humilité admirables, chez le Père Cruz. Lorsqu'il descendait d'un taxi, il arrivait que le chauffeur refusât le prix de la course et dît à mi-voix aux passants : « Celui-là, c'est un saint. Ah ! si tous étaient comme lui !... » Mais le plus fort, c'est que le Père Cruz entendait parfois ces réflexions et les trouvait si amusantes qu'il les racontait ensuite pour égayer ses amis. En 1943, lors du grand pèlerinage marial du 8 septembre au sanctuaire de la Penha, le Père Recteur du noviciat des Pères Jésuites de Guimarais racontait en riant de tout son cœur : « Vraiment, les saintes gens, ça n'est pas fait comme les autres. Tout à l'heure, j'ai averti le Père Cruz qu'on était en train de vendre ses portraits là-haut, au Sanctuaire. Vous croyez peut-être qu'il s'est fâché ? Pas du tout !. Il m'a simplement indiqué les adresses où on pourrait se procurer ses photographies mieux réussies. »


Le Serviteur de Dieu eut-il le don de connaître surnaturellement des choses cachées ? On se souvient du témoignage de la petite Jacinta qui l'appelait : « le Père qui sait deviner ». Certains témoignages sembleraient le prouver, notamment celui d'une mère de famille de Portalègre, Rita Bragança Gil : « Quand je suis allée pour la première fois à Fàtima en pèlerinage, déclara cette personne, j'y ai rencontré près du Sanctuaire le Père Cruz, dont j'avais entendu parler, mais que je n'avais jamais vu. Entendant les gens l'appeler par son nom et les voyant s'empresser autour de lui, je m'approchai moi aussi avec mes deux enfants, âgés de quatre et cinq ans, pour lui demander sa bénédiction. Le Père, posant alors la main sur la tête de mon plus jeune fils, me dit : « Celui-ci a besoin de recevoir le baptême. » J'en demeurai abasourdie, car le fait est que l'enfant, contrairement à mon désir, n'avait pas reçu le sacrement. Le Père ne nous avait jamais vus, et comme personne ne nous connaissait à Fàtima, on n'avait pu le renseigner. Rentrée chez moi, je fis des instances et mon fils fut baptisé. Il était temps, car notre cher petit Antoine s'envola au ciel quelques mois plus tard. » II ne pourrait être question de rappeler ici les innombrables faveurs obtenues par le Serviteur de Dieu de son vivant ou après sa mort.


Jésuite à 81 ans


Etudiant à Coïmbre, Francisco da Cruz s'était lié d'étroite amitié avec un jeune prêtre, José Pires Antunes, entré plus tard dans la Compagnie de Jésus, et qui devenu Missionnaire aux Indes y mourut en odeur de sainteté. Francisco da Cruz, l'aurait volontiers suivi dans la Compagnie ; mais son état de santé, alors trop précaire, fut un insurmontable obstacle. En 1929, le Très Révérend Père Ledochowski avait obtenu de Pie XI un indult permettant au Père Cruz de prononcer, à l'article de la mort, les vœux de religion de la Compagnie de Jésus. Mais en 1940, Sa Sainteté Pie XII accordait d'anticiper ces vœux de religion ; si bien que le 3 décembre de la même année, le saint vieillard, à l'âge de 81 ans, émettait sa profession religieuse en la fête de saint François Xavier, son protecteur céleste et saint de prédilection. Dans son testament le Père da Cruz déclare : « Malgré mon grand amour pour mes parents et pour ma terre natale, j'estime qu'il est de mon devoir de faire déposer mon corps dans le caveau de la famille religieuse — la Compagnie de Jésus — à laquelle je me suis uni par les vœux de religion, réalisant ainsi l'ardent désir que je nourrissais depuis 60 ans et auquel le manque de santé avait toujours fait obstacle. » En décembre 1947, le Serviteur de Dieu dut s'aliter, atteint d'une pneumonie. Il comprit la gravité de son état et se prépara à la mort. Il est à croire que le Père Cruz se servit alors de la formule qu'il avait souvent conseillée : « Mon bon Jésus, je vous offre mon dernier soupir en union avec les mérites infinis de votre Passion et de votre Mort, renouvelés à la sainte Messe qui sera dite à l'heure de ma mort. » Dix mois plus tard, une angine de poitrine devait emporter le Père à l'improviste. Le 8 décembre, en la fête de l'Immaculée, le vénéré malade reçut les derniers sacrements. Le 12, le pouls se mit à faiblir de façon inquiétante. Les assistants et le Père Provincial des Jésuites commencèrent même les prières des agonisants ; cependant un ballon d'oxygène permit à la respiration de reprendre. Ce fut alors que le Serviteur de Dieu, à la suggestion du Père supérieur, articula ses dernières recommandations, exhortant les membres de sa famille à l'union, exprimant sa profonde gratitude aux personnes qui l'hébergeaient depuis si longtemps et demandant pardon pour la peine qu'il avait pu causer, remerciant enfin la Compagnie de Jésus d'avoir bien voulu l'accueillir. Il taquina même aimablement son médecin, le docteur Leite de Faria, qu'une charité « incorrigible » portait à revenir pour la troisième ou quatrième fois depuis le matin. Le soir se vérifia ce que le Père avait si souvent affirmé aux autres : loin de nuire à la santé du corps, l'Extrême-Onction peut contribuer à la rendre. Une amélioration se produisit, d'abord à peine perceptible, mais qui s'accentua les jours suivants, si bien qu'au début de janvier le convalescent put se lever et passer de longs moments à la chapelle, se dédommageant ainsi de ne pouvoir plus célébrer. Le 8 juillet, dans l'espoir de récupérer ses forces, il accepta de se rendre à la campagne, chez des amis. Pour plus de sûreté, son médecin voulut l'accompagner durant le trajet. Le Père en profita pour confesser un malade, mais, saintement rusé, il n'en parla qu'au tout dernier moment, par crainte de se voir refuser la permission. Le 21 septembre, très faible encore, il rentrait à Lisbonne et visitait un autre infirme. C'est à partir du 2 décembre 1947 que le Père Cruz avait dû faire son sacrifice et se contenter désormais d'assister à la sainte messe et d'y communier.


Le rappel à Dieu du bon Serviteur


La nuit du 30 septembre 1948 fut presque normale. Cependant, le Père se plaignit d'une certaine douleur à la poitrine. Comme on lui offrait de faire venir le médecin, il répondit que cela n'en valait pas la peine. Le lendemain, 1er octobre, vers huit heures et demie, le Père Aparicio, curé de Saint-Christophe, lui apporta la sainte communion. Un quart d'heure après, la servante entra avec le petit déjeuner, mais à peine l'eut-elle déposé qu'elle vit le Père pâlir et se contracter. Elle courut avertir dona Lucinda et les dames Machado, qui transportèrent le mourant sur son lit, mais la respiration cessa à ce moment même. Le grand Serviteur de Dieu, ce Chevalier de Notre-Dame, cet infatigable propagateur du chapelet, venait de s'éteindre en paix, à la fin de son action de grâces. S'il est vrai que l'amour est la meilleure des préparations à la mort, le Père Cruz s'était longuement et intensément préparé : que d'oraisons jaculatoires, en effet, depuis celles qu'il récitait avec les petits voyants de Fatima, que de longues adorations dans les chapelles, que de regards d'amour sur Jésus-Hostie dans les églises où il y avait « Lausperene » ! Jésus et Marie répondirent à leur serviteur fidèle en lui accordant une mort très douce, et surtout en l'appelant à eux au jour choisi entre mille qui manifesterait combien sa dévotion et sa piété leur avaient été agréables. Puisque le Père du ciel veille jalousement sur ses enfants et que rien ne leur arrive sans une permission ou un dessein formel de sa part, ne faut-il pas voir dans les circonstances de ce trépas comme une triple réponse de la Providence : celui qui avait tant adoré Jésus-Hostie est rappelé par le bon Maître quelques minutes après s'être uni à lui par l'Eucharistie ; l'apôtre du Cœur de Jésus est accueilli par le Sauveur un premier vendredi, selon le désir qu'il avait tant de fois exprimé dans sa prière : « J'aimerais mourir un vendredi, répétait-il souvent, pour profiter de l'indulgence sabbatine réservée au scapulaire du Carmel. » ; enfin, le Père Cruz quitte ce monde le premier jour du mois consacré au Rosaire. La Providence divine fait bien toutes choses. Elle gouverne le monde, rien de plus certain, mais qu'il nous soit permis de constater une fois de plus que l'humble désir du bon serviteur avait gouverné la Providence. Le Père mourait non seulement un jour beau entre tous — « dia tâo lindo », lui-même venait de le dire — mais à la plus belle heure de ce jour ; enfin il avait gardé un jugement sain, faveur demandée explicitement au Cœur Immaculé de Marie et qui lui permit de faire du bien jusqu'au bout.


Des obsèques triomphales


Le soir même du décès, le Cardinal Cerejeira vint prier près de la dépouille mortelle et lui baisa pieusement les mains, baiser qui exprimait l'estime du chef pour cet humble prêtre, gloire du patriarcat, et aussi l'attachement personnel de l'ami, car les sentiments du Père Cruz envers le cardinal avaient été toujours empreints non seulement d'un respect profond, mais encore d'une amitié très délicate. Il écrivit à tout le clergé de son diocèse, l'invitant à participer aux funérailles : « Le saint Père Cruz demeurera une des gloires les plus pures de notre Patriarcat. Le clergé de Lisbonne le vénérera toujours comme un exemple accompli de travail apostolique, de prêtre consacré tout entier à la gloire de Dieu et au salut des âmes. Il aura et cherchera en lui un modèle et un avocat. » A la nouvelle du trépas, un nombre incalculable de personnes accoururent pour vénérer le corps du défunt. L'affluence fut telle qu'on dut recourir à la police pour canaliser la foule. Le samedi 2 octobre, à dix-sept heures, le cercueil fut conduit processionnellement à la cathédrale, où les fidèles s'empressèrent par milliers avant qu'on fermât le cercueil, désireux de faire toucher des crucifix, des chapelets ou des images à ces mains qui avaient tant béni. Le corps fut bientôt recouvert d'une montagne de fleurs dont les pétales étaient emportés comme reliques. Parmi les couronnes, celle du Limoeiro et de ses détenus attira l'attention. Le 3 octobre 1948, le Chapitre de la cathédrale fit célébrer un service solennel, que voulut présider le cardinal, en présence du Ministre de la guerre et du gouverneur civil de Sétubal ; puis le modeste cercueil de bois de pin, porté par des religieux et des prêtres, escorté de ministres et secrétaires d'État, de délégués du patriarche et des évêques, fut conduit au Terreiro do Paco, place magnifique bordée de palais, d'où la vue découvre par-delà le Tage les hauteurs bleutées de Palmelle et d'Arrabida. Le cercueil fut déposé sur un char funèbre et plus de quatre cents voitures, remontant les grandes artères de la capitale, le suivirent jusqu'au cimetière de Bemfica, à travers les rangées ininterrompues des spectateurs. La dépouille mortelle du Serviteur de Dieu fut placée, selon ses intentions formelles, dans le caveau de la Compagnie de Jésus. Très vite les fidèles y vinrent prier en si grand nombre que, pour satisfaire leur dévotion, il fallut changer l'ouverture du caveau et disposer une baie vitrée ; aux anniversaires de la naissance et de la mort du Père, il y a foule au cimetière. On laisse sur sa tombe des lettres ou des billets d'action de grâces et des fleurs.


Pensées et prières du Père Cruz


« Dieu gouverne le monde, mais il se laisse gouverner par notre prière. »

« L'infirmité et la fatigue cérébrale constituèrent pour moi une vraie faveur en m'aidant à me souvenir de Nôtre-Seigneur. Voilà soixante-huit ans que je les porte. Elles m'ont détaché des choses de ce monde. »

« Pour mon âme, les deux grandes causes de grâce furent la maladie et la fréquentation des sacrements. J'aime beaucoup la parole de saint Alphonse : 

« Confession et communion, voilà la source de tous les biens. »

« Quand on lui demanda quelles prières il recommandait celle-ci : « Mon Dieu, je crois, j'adore, j'espère et je vous aime. Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n'adorent pas, qui n'espèrent pas et ne vous aiment pas. » « J'aime à ajouter : « Je vous remercie pour tous vos bienfaits et vous demande pardon pour mes péchés, et aussi pour les péchés de ceux qui ne vous demandent point pardon. Je désire vous recevoir dans mon âme avec les mêmes dispositions que votre Très Sainte Mère Marie, qui est aussi ma Mère. »

« Père éternel, au nom de votre Fils unique, je vous demande votre Bon Esprit dont vous parlez dans votre saint Évangile — un esprit d'humilité et de contrition de tous mes péchés, un esprit de foi, pur, humble, charitable, mortifié, soumis à votre Très Sainte Volonté. »
« Oh! ma Très Sainte Mère, aidez-moi à vous aimer et à vous faire aimer. »


« Ma Très Sainte Mère, enfermez-moi pour toujours dans le Cœur de votre divin Fils et ne permettez pas que je tombe jamais dans le péché. »

« Doux Cœur de Jésus, soyez mon amour !

« Doux Cœur de Marie, soyez mon salut !

« Tout pour Vous, Cœur Sacré de Jésus !

« Jésus, Marie, Joseph, mon âme est à vous ; elle l'est et le sera à jamais, car je veux vous aimer jusqu'à la mort »

« Ô Esprit Saint, je vous adore. Éclairez-moi, guidez-moi, fortifiez-moi, consolez-moi. »

« Cœur eucharistique de Jésus, augmentez en nous la foi, l'espérance et la charité. »

« Mon Dieu, je veux vous voir en tout, voir tout en vous et pour vous. »

« Bénie, louée et éternellement exaltée soit la très juste, très haute et très aimable volonté de Dieu en toutes choses ! »

À chaque bienfait, le « Deo gratias » montait au cœur et aux lèvres du Père Cruz, mais dans les contrariétés également il s'écriait : « Béni soit Dieu ! », car il aimait à répéter qu'une action de grâces, pour cordiale qu'elle soit, ne vaut pas la louange donnée à Dieu dans la souffrance.


Prière pour demander la glorification du Padre Cruz


Dieu infiniment Miséricordieux, qui, par le bouche de Votre Divin Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, avez dit: « Demandez et vous recevrez, chercher et vous trouverez, frappez et l'on vous ouvrira », par les mérites et l'intercession de Votre serviteur, le Padre Francisco Cruz qui à su admirablement vivre les préceptes de Votre Saint Évangile, par sa Charité ardente, en passant sa vie terrestre en faisant le bien, en consolant les affligés, en aidant les plus nécessiteux, en visitant les pauvres et les prisonniers et en oeuvrant pour la conversion des pécheurs; Accordez-nous la grâce d'imiter son exemple et ses vertus, en particulier son esprit de prière et d'union avec Vous, de foi, d'espérance et d'amour brûlant, sa forte dévotion filiale envers la Très Sainte Vierge Marie, son zèle pour le salut des âmes, l'horreur de tous ceux qui rejettent et pêchent contre le Divin Esprit Saint et des âmes eucharistiques. Obtenez-nous, par l'intercession du Padre Francisco Cruz, la grâce que nous Vous demandons pour sa glorification (...) Si cela est pour Votre plus grande Gloire, conforme à Votre Sainte et Divine Volonté et utile au salut de notre âme. Ainsi soit-il.


Notre Père, Je vous salue Marie, Gloire au Père

Bon Padre Cruz, priez pour nous!


Seigneur Jésus-Christ, qui avez dit: « Si vous ne devenez semblables à des petits enfants, vous n'entrerez pas dans le royaume des cieux », nous Vous en supplions, regardez l'humilité et la simplicité avec lesquelles Votre Serviteur Francisco Da Cruz a cherché Votre gloire: nous Vous en supplions, daignez glorifier Votre fidèle disciple de l'auréole de sainteté, si cela est pour Votre plus grande Gloire. Vous qui vivez et régnez avec le Père, dans l'Unité du Saint Esprit, maintenant et toujours, et pour les siècles et les siècles. Ainsi soit-il.

 

Site de la postulation du Padre Cruz

(en Portugais)

www.padrecruz.org

 



07/02/2009
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