Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Les apparitions de l'Ile Bouchard suite

Les apparitions de l'Ile Bouchard, suite 

Mardi 9 décembre 1947

Sœur Saint-Léon a porté son interdiction, ce matin, dans la première classe. Plusieurs élèves se sont récriées, osant lui dire en face « qu'elle n'avait pas le droit » de faire cette défense aux voyantes. Jacqueline et Nicole étaient d'ailleurs absentes à ce moment, par une rouerie de la Sœur elle-même qui, de plus en plus troublée, abandonnait au doyen seul la responsabilité de les laisser se heurter à la porte close. A 12 h. 50, M. le chanoine Ségelle prend la clé de l'église et descend de bon train la grand nef. Brusquement, devant la chaire, il se ravise et fait demi-tour. Il ne saura trop justifier réflexivement le mobile précis de sa volte-face. Quand les quatre fillettes arrivent, peu après, la porte est ouverte. Elles entrent. Mais les trois amies qui les accompagnent, Sergine Croizon, Armelle et Jacqueline Robin (NB Armelle et Jacqueline ne sont pas parentes de Nicole.) n'osent, par obéissance, les suivre. Elles attendront dehors. Jacqueline leur promet d'intercéder pour elles près de la Dame. Le petit groupe s'est dirigé vers l'autel de la Sainte-Vierge, a dépassé la Sainte-Table, s'est agenouillé et récite des Ave. Soudain, apparaît une vive lumière. Une « boule très brillante » de 0 m. 80 environ de diamètre s'ouvre. Un « rideau d'argent » en un instant se déploie et s'étend entre le meneau du vitrail et Notre-Dame des Victoires, montant légèrement vers la statue. Pas un pli sur la surface lisse dont les côtés sont rectilignes. En relief, le rocher lumineux de la veille. La grotte est déplacée cependant, de peu, vers la verrière très près encore de l'angle nord-est. L'Ange aujourd'hui est à la gauche de la Vierge. Dans la même attitude de contemplation respectueuse. Toutefois le lys est dans sa main gauche. C'est sa main droite qui est posée sur la poitrine ; son genou gauche qui touche la pierre. Au-dessus de sa tête la voûte est plus haute et surtout plus large que celle du lundi. Il est plus avancé sur le seuil. Le rideau d'argent fait fond derrière lui. La «meilleure en dessin », Nicole a laissé un enfantin croquis de ce tableau. L'ensemble doit avoir les mêmes proportions que la veille. En bas, la sellette du phormium et le tombeau de l'autel restent en partie visibles. Le tabernacle à droite n'est pas caché. Plus d'anglaises sur la robe de la Dame. Les cheveux sont ramenés en arrière. A peine apparaissent-ils « au-dessus des yeux, au-dessus des tempes et derrière le cou ». Sur la tête le voile est « un peu plus avancé », laissant néanmoins « le front dégagé ». Des majuscules ordinaires de 0m.08 environ, d'un or éclatant, disposées en courbe légère, moins accentuée qu'un demi-cercle, forment sur la poitrine, un mot que les enfants ne peuvent lire parfaitement, à cause des mains jointes : MA....CAT. Une énigme pour elles. Sous les roses, remplaçant l'invocation du lundi, ligne unique incurvée : Je suis l'immaculée conception.

Les deux personnages irradient encore les mêmes vives lumières. Souffle toujours sur la ceinture et sur les ailes une brise. Ainsi se présentera maintenant l'apparition. La Dame avec son sourire qui découvre à peine l'ivoire de quelques dents, un sourire « doux comme celui d'un enfant », regarde les quatre fillettes. Elles, La contemplent dans l'admiration. Puis Jacqueline interroge : « Madame, est-ce que je peux faire entrer mes amies ? » « Oui ». « Mais elles ne me verront pas. » Jacqueline, seule, entend les derniers mots. Les quatre enfants aussitôt gagnent la porte. A ce moment s'avance sous le portail Mme Trinson, une voisine des Aubry et des Croizon, que les écolières sur la place n'avaient pu arrêter. Jacqueline communique la réponse de la Vierge : « Vous pouvez entrer. Mais vous ne la verrez pas. » Quand la troupe revient, la Dame n'est plus là. Dès les premiers Ave, Elle réapparaît. « Oh ! La voilà! » De l'index, comme hier, Elle fait signe, souriante, et dit : « Embrassez la croix de mon chapelet. » Puis ayant étendu la croix d'or, du creux de la paume à l'extrémité du médius, Elle avance sa main droite. Jacqueline se lève, se hausse sur la pointe des pieds et embrasse le Christ d'or, nettement saillant, sous la pancarte d'or qui porte l'inscription : « I.N.R.I. » Après elle, et comme elle, Nicole. L'aînée, bras tendus, élève Laura et Jeannette. Son aisance déconcertante frappe Mme Trinson qui l'invitera, le soir même, à renouveler le geste, son mari présent. Jacqueline ne pourra que soulever péniblement à quelques centimètres du sol ses jeunes compagnes. D'autres feront la même expérience plus tard. Le résultat sera le même. Les quatre fillettes sont maintenant à genoux. Avec une impressionnante lenteur la Dame fait alors sur elle un large signe de croix. Les enfants l'imitent. L'Ange reste immobile. Et dix Je vous salue Marie sont récités, sans Pater ni Gloria, avec l'invocation O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. La Vierge est devenue triste.« Je vais vous dire un secret que vous pourrez redire dans trois jours : « Priez pour la France qui, ces jours-ci, est en grand danger. » Et après une pause : « Allez dire à Monsieur le Curé de venir à 2 heures, d'amener les enfants et la foule pour prier. » Jacqueline regarde Mme Trinson : « La Sainte-Vierge demande la foule, où donc la prendre ? » « Ne te tourmente pas, les petites et moi nous la commençons. » La douce voix semblant enchaîner : « Commencez le Je vous salue Marie.» Voyantes et assistantes égrènent dix Ave suivis de l'invocation : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. La Dame est redevenue souriante. « Dites à Monsieur le Curé de construire une grotte, le plus tôt possible, là où je suis ; d'y placer ma statue et celle de l'Ange à côté. Lorsqu'elle sera faite, je la bénirai. » Les mots « là où je suis » ont été articulé avec plus de force. « Revenez à 2 heures et à 5 heures. » Puis la Vierge et l'Ange disparaissent, semblant s'enfoncer dans le mur tandis que le rideau d'argent se referme. « Oh ! la belle boule ! » s'exclament les fillettes. La boule s'est évanouie. Par la sacristie, les quatre gagnent aussitôt le presbytère pour passer l'ordre de la Dame. « On était contentes, nous disant : « Il va la voir ». Le doyen, qui lit son bréviaire, entend, par la fenêtre ouverte de son bureau, au premier étage - il fait beau - le groupe joyeux dans le petit jardin du levant. Mais il ne se montre pas. Elles entrent dans la cuisine : « Mademoiselle Camille, on a vu la Sainte-Vierge ». Et elles donnent l'heure du rendez-vous fixé par la Dame à Monsieur le Doyen et à la foule : 2 heures. Mlle Camille monte et transmet le message. L'heure indiquée fait sursauter le doyen qui répond d'un ton assez bref : « Deux heures ? C'est l'heure de la classe, qu'elles aillent en classe... et qu'elles obéissent aux maîtresses. » Profondément déçues, elles retournent à l'église où Mme Trinson les réconforte de son mieux : « Ce n'est pas de votre faute. Obéissez. La Sainte-Vierge ne vous punira pas. Revenez à 5 heures. »Une dernière prière en commun et les sept enfants regagnent l'école. En arrivant, Jacqueline pleure. Sœur Marie de l'Enfant-Jésus lui demande pourquoi ? A la réponse de la fillette, elle réplique sans plus de façon : « La Sainte-Vierge est au-dessus de Monsieur le Curé, il faut lui obéir. » Mais Jacqueline rétorque dans les larmes : « Monsieur le Curé ne veut pas ; je n'irai pas. » Nicole, Laura, Jeannette se taisent. (Note :  Nous maintenons ici une correction qui nous avait été apportée dès la parution de l'opuscule, en 1951, par Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, aujourd'hui missionnaire à Madagascar. Voici comment il faudrait lire ce paragraphe : « Jacqueline pleure dans la cour, toutes ses compagnes sont « autour avec Sœur Marie de l'Enfant-Jésus qui lui demande pourquoi elle pleure. A sa réponse ses compagnes lui disent : « La Sainte Vierge est au-dessus de M. le Curé, il faut lui obéir ». Sœur Marie de l'Enfant-Jésus prend la parole : « Oui, la Sainte Vierge est au-dessus de M. le Curé mais aujourd'hui, Jacqueline, il faut obéir à M. le Curé ». Et les compagnes continuent : « A deux heures tu iras ». « Non puisque Monsieur le Curé ne veut pas, je n'irai pas » répondit Jacqueline ».) Sœur Saint-Léon est présente. Elle écoute le récit de l'apparition. Naturellement elle se range à l'avis du pasteur, et refusera de reconstituer le mot incomplet écrit sur la poitrine de la Dame. Les écolières, qui entourent les voyantes, sont, elles, de l'autre parti, contre Monsieur le Curé. Quand, une heure plus tard, Sœur Saint-Léon, en classe, accrochera son chapelet au coin de la première table et que les grains s'éparpilleront sur le sol, nombreux seront les sourires moqueurs, peut-être sarcastiques. Et Annie Martineau, le soir, dira en rentrant, devant les clients de la boulangerie paternelle : « C'est bien fait pour elle. » La soirée cependant se passe normalement. Les fillettes ne paraissent plus tristes. Elles travaillent comme à l'habitude. Dans la ville, la nouvelle des événements se répand. C'est jour de marché. Mme Robin, venue du Pont, découvre alors seulement, l'ampleur prise par l'affaire.

A 16 h. 30, Jacqueline interroge Nicole comme la veille. Mais pas plus aujourd'hui qu'hier, Nicole ne viendra à 5 heures. Elle craint la nuit et plus encore les reproches maternels en cas de retard. Elle rentrera chez elle. Elle rentrera triste d'ailleurs. En route, elle pensera à l'apparition. Volontiers elle serait restée. Les trois autres sont à l'église, au premier rang, près de l'harmonium. Elles ne sont plus seules. Il y a une vingtaine d'enfants et une vingtaine de grandes personnes. Mais ni Monsieur le Curé ni les Sœurs. Tandis qu'on récitait la première dizaine du chapelet, à 5 heures, car la Dame est d'une exactitude rigoureuse, la boule apparaît. Le rideau se développe. La Vierge et l'Ange sont là. Jeannette prend peur et s'écrie : « La Dame va m'emmener, je ne verrai plus maman. Je veux retourner chez nous. » La benjamine évoque alors les paroles de sa mère, agacée, qui lui a dit à midi - elle le regrettera bientôt - pour la dissuader de retourner à l'église : « Ce n'est pas la Sainte-Vierge que tu vois, c'est le diable. Si tu retournes à l'église à 5 heures « la belle dame », comme tu dis, t'emmènera, et tu ne me verra plus. » Jacqueline qui avait aperçu dans l'église son frère Jacques - 14 ans - lui fait signe d'emmener sa sœur. Cachant son visage de l'avant-bras droit, Jeannette, par la basse nef, s'en va. Comme à regret ! A trois reprises elle se retourne rapidement, regarde, joint les mains. Jacqueline et Laura affirmeront que la Sainte-Vierge la suivait des yeux et lui souriait. « Chantez le Je vous salue Marie, ce cantique que j'aime bien », dit la Dame qui a fait signe aux deux enfants d'approcher. Et tandis qu'elles chantent, agenouillées maintenant à ses pieds, la Dame continue de sourire. Selon l'habitude en la paroisse, les deux fillettes ont ajouté : O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous, par trois fois. Tour à tour, sur elles et sur l'assistance recueillie, se pose le bienveillant regard, dans le silence. « Dites à la foule d'approcher pour réciter une dizaine de chapelet. » Jacqueline s'exécute : « Faut que vous approchiez. » Dames et enfants sont maintenant près de la Sainte-Table, debout. C'est la Vierge elle-même qui ajoutera à la dizaine d'Ave, récitée par tous, sans Pater ni Gloria, l'invocation O Marie conçue sans péché. La foule entend seulement les deux fillettes répondre : Priez pour nous qui avons recours à Vous. Trois fois. « Madame, faudra-t-il revenir ? Viendrez-vous encore demain ? » demande Jacqueline. « Oui, revenez tous les jours à 1 heure. Je vous dirai quand tout sera fini. » Et très lentement la Dame bénit l'assistance. Comme le prêtre à la fin de la messe, Elle trace, devant Elle, un signe de croix. Puis Elle ramène posément sa main droite, rigoureusement verticale, au milieu de la poitrine, et la fait glisser, en descendant, contre la gauche, restée immobile, un peu plus bas. Ce dernier mouvement frappe les fillettes qui n'ont jamais vu le prêtre l'accomplir. Jacqueline et Laura se signent. C'est fini ! La grotte s'est effacée. Le rideau s'est replié. La boule brillante semble s'être enfoncée dans le mur. L'apparition était là depuis dix minutes. Vers 5 h. 30 le doyen est informé. Aussitôt il prévient l'Archevêché.

Mercredi 10 décembre 1947

M. Aubry apprend seulement ce matin à 11 h. 30, au café, de camarades gouailleurs, la fameuse nouvelle. Il s'en émeut. Enervé, il rentre à la maison pour se fâcher tout rouge contre sa femme et ses deux filles. Jacqueline est même giflée. Après le repas de midi, lourd de silence, son aînée, sur le conseil de sa maman, monte le trouver à la chambre où il se repose. Elle passe les bras autour de son cou et l'embrasse : « O papa ! » Le père regrette déjà sa colère : « Qu'est-ce que j'ai fait ! Qu'est-ce que j'ai fait ! » Quand il redescend peu après, il est calme. Sa femme lui raconte tout. En l'écoutant, il essuye une larme. Les fillettes étaient alors parties. Bientôt la mère les rejoindra. Cent cinquante personnes environ, dont Mme Croizon, attendaient dans l'église. Plusieurs désirant avoir une voyante près d'elles, les ont prises par le bras. Ainsi les quatre se trouvent bientôt assises dans les premiers rangs, au milieu de la foule, séparées les unes des autres. Soudain, simultanément, elles se lèvent : « La voilà ! » La boule brillante était survenue. Le rideau d'argent s'était développé. Le rocher, la Dame et l'Ange étaient en un instant devant leurs yeux dans la vive lumière. Les quatre s'avancent et s'agenouillent en biais, sur la marche de l'autel. C'est la Dame, souriante, qui parle : Chantez le Je vous salue Marie. » Les voix s'élèvent. Elles sont, elles seront toujours justes, fraîches, vibrantes. La Vierge à nouveau sourit. Récitation de dix Ave. Suit le Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit. La Vierge s'incline. Puis l'invocation : O Marie conçue sans péché, par les enfants. Et l'index appelle. Et la Dame parle de nouveau : « Baisez ma main. » L'avant-bras droit est un peu relevé. Les doigts sont abaissés, presque perpendiculairement au sol. Les enfants reconstituent facilement la pose. Jacqueline s'est approchée et a posé son baiser. Puis Nicole, Laura et Jeannette ont été, une fois encore, élevées par la grande avec une étonnante facilité. Et plusieurs dans la foule entendirent le bruissement de leurs lèvres. Les enfants affirmeront avoir senti la douce chaleur de la main. Alors, de Nicole, cette question suggérée par la réflexion piquante de Sœur Saint-Léon : « Faire une grotte ! En quoi donc ? Tu n'avais qu'à lui demander comment la faire ? » « En quoi faudra-t-il la faire la grotte que vous avez demandée hier ? » « En papier pour commencer. » Mme Aubry interpelle Jacqueline. Quand sa grande est près d'elle, à la Sainte-Table, elle lui dit : « Demande à la Sainte-Vierge de faire un miracle pour que tout le monde croie ? » Jacqueline revient s'agenouiller et tout haut :« Madame, voulez-vous faire un miracle pour que tout le monde croie ? » Avec douceur et lenteur, comme toujours, la Dame répond : « Je ne suis pas venue ici pour faire des miracles mais pour vous dire de prier pour la France. » « Mais demain vous y verrez clair et vous ne porterez plus de lunettes. » « Je vais vous confier un secret que vous ne direz à personne. » « Promettez-moi de le garder ? » « Nous vous le promettons. » La Dame n'a plus l'air aussi grave. Elle ne sourit pas cependant. Sa confidence est brève. Elle a parlé « gentiment », pour reprendre l'expression de Jeannette. Les enfants, mains jointes, écoutent. Le secret est le même pour toutes. La Vierge dit enfin : « Revenez me voir demain à la même heure. » « Nous vous le promettons. » Elle disparait. Il est environ 1 h. 1/4. La foule a entendu les paroles des enfants. Elle n'a pas entendu la Dame, elle ne l'entendra jamais. Cette fois, le doyen a écouté de la sacristie. Il a même risqué un regard à travers les fentes de la porte. Les Sœurs l'accompagnaient. Du secret confié, les enfants ne parleront jamais. Du moins devant les autres. En vain, certains essaieront de l'arracher. Un soir M. Aubry demandera affectueusement à Jeannette de le lui livrer à lui « son papa », « à qui elle doit obéir » - « Quand même je voudrais te le dire, je ne pourrais pas, çà s'arrêterait là » lui répondit la petite, s'étreignant à la gorge. D'autres lui offriront une poupée, un billet de mille francs, une bicyclette ; ils n'obtiendront rien. Un jour certains osèrent dire à Laura que, devant un fusil chargé, elle cèderait bien. L'enfant baissa la tête et simplement : « Eh ! bien vous me tueriez. » Pouvez-vous le dire à Monseigneur l'Archevêque ? Non. Au pape ? Non ! - La Vierge ne manquerait pas de leur indiquer, ont-elles dit depuis, ce qu'alors elles devraient faire.

Jeudi 11 décembre 1947

Au reveil, Jacqueline refuse l'eau tiède avec laquelle chaque matin il faut lui décoller les paupières. Elle affirme voir parfaitement. M. Aubry veut vérifier son dire. A plus d'un mètre de distance, l'enfant lit le journal présenté. L'expérience lui paraît concluante. Il ne doute plus maintenant ( - Examen ophtalmologique de Jacqueline, en date du 23-10-46, avant les apparitions : Léger strabisme externe de l'oeil droit. Après correction : OD (0° - 0,50) + 0,5 V = 10/10. OG (0° - 0,75) + 1 V = 10/10. Examen du 5-2-48, après les apparitions : Léger strabisme externe de l'oeil droit. Sans verre : V OD et OG = 10/10. Avec la correction prescrite en 1946 : V OD = 2/10 - V OG = 3/10. A l'ophtalmomètre : astigmatisme vertical de 0,50 dioptrie à chaque oeil. Au périmètre : déviation de l'oeil droit de 10°. Fonds d'yeux normaux.) L'affaire fera du bruit. On parlait déjà beaucoup des événements à l'Ile-Bouchard et dans les environs. Naturellement les opinions variaient. Ce matin même, vers 10 heures, Nicole revenant du catéchisme était interpellée : « Ta mère devrait te faire soigner », lui lançait une femme narquoise. Imperturbable, la fillette répond : « Je mange bien, je dors bien, je ne suis pas malade. » « Alors, pourquoi vas-tu prier devant un mur ? » - « Je ne suis pas folle, riposte la fillette, si je ne voyais rien, je n'irais pas prier devant un mur ». Et l'enfant continue sa route. Ce calme, cette assurance tranquille des « voyantes » déconcertaient. Mme Aubry, craignant pour ses filles un sommeil agité, avait voulu coucher près d'elles. Elle avait dû constater, dans ses insomnies, que Jacqueline et Jeannette dormaient profondément. Comme à l'ordinaire aussi Nicole et Laura reposeront. A la maison, à l'école, dans la rue, les quatre enfants n'avaient rien perdu de leur simplicité. Avec leurs compagnes, qui les défendaient volontiers, elles travaillaient, jouaient, étaient espiègles à l'occasion. De l'aventure elles ne tiraient nulle vanité et demeuraient discrètes. Surtout la concordance de leurs récits inattendus et qui ne variaient pas, étonnait. D'autant plus qu'elles étaient très différentes de tempérament. On ne disait déjà plus autant que dans les premiers jours : « Elles sont folles », « elles ont eu la berlue », « c'est un bateau ». Certaines objections osées tombaient aussi devant les faits : Les hésitations connues du doyen ne permettaient pas d'affirmer avec autant d'assurance : « C'est une comédie montée par les curés ». Et l'absence notoire de Sœur Saint-Léon aux apparitions rendait grotesque l'hypothèse émise de la religieuse faisant du cinéma, cachée derrière l'autel. Restait la thèse de l'emprise exercée sur les enfants par quelque sorcier : « Elles sont certainement travaillées », affirmait-on ; et celle de l'hallucination ; et celles des influences religieuses, « du bourrage de crâne ». Le bourrage de crâne ? des parents dont les enfants fréquentes l'école libre le nient formellement. Dans les nombreuses conversations, il ne fallait pas chercher des récits d'une méticuleuse précision. Si l'on en juge par des notes prises peu après, on entremêlait facilement par exemple les événements des divers jours. L'essentiel cependant était respecté. Sans doute, vite et sans contrôle rigoureux, certains s'étaient emballés. Il y en avait peu. On parlait même de dévotes exploitant déjà l'affaire. Beaucoup restaient prudents. Sans avoir nécessairement la légendaire prudence de l'Église. Dans les propos tenus, la charité ne fut pas toujours sauve : tels parents, telles fillettes eurent à souffrir de réflexions pour le moins désobligeantes. Mais, dans l'ensemble, on discuta sans acharnement. Malgré tout, deux constatations s'imposaient : on ne prenait plus les « voyantes » à la légère, et chaque jour augmentaient les préjugés favorables. Chaque jour aussi augmentait le nombre des assistants à l'église. Quand les quatre enfants arrivent peu avant 13 heures, en ce jeudi, à Saint-Gilles, elles ne trouvent plus de prie-Dieu. Elles doivent venir tout près de la Sainte-Table. Deux cents personnes au moins occupent la nef de la Sainte-Vierge. M. Aubry, entraîné par un camarade, est dans la foule. Le doyen, pour la première fois aussi, est là, agenouillé sur le degré supérieur du maître-autel, au côté de l'épître, tourné vers les enfants. Derrière lui, sur les marches de l'autel Saint-Laurent, près de la sacristie, la supérieure et les deux religieuses de la paroisse. La veille, il a décidé d'accord avec Sœur Saint-Léon, de faire poser deux questions à la Dame. D'abord : « D'où nous vient cet honneur que vous veniez dans l'église Saint-Gilles ? » puis au cas où nulle réponse ne serait faite : « Est-ce en souvenir de Jeanne Delanoue qui vous aimait tant, qui aimait tant vous prier à Notre-Dame des Ardillers et qui est venue elle-même établir ses filles ici » (NB Jeanne Delanoue, fondatrice des Soeurs de Ste-Anne de la Providence de Saumur, avait été béatifiée le 9 novembre 1947.) Le papier sur lequel la religieuse a écrit les deux demandes, sous la dictée du pasteur, a été remis à Jacqueline.

A 13 heures, la Dame et l'Ange ! Dans une lumière plus vive encore que celle des jours précédents! Les enfants s'approchent. Elles s'agenouillent sur la marche de l'autel, formant une ligne légèrement incurvée. Dans l'ordre de gauche à droite : Laura, Jeannette, Nicole, Jacqueline.« Chantez le Je vous salue Marie » dit la Vierge souriante. Les enfants, de tout coeur, chantent. Jacqueline devançant un peu ses compagnes dans l'intonation, comme il lui arrive de les devancer dans les réponses. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame. » Elles récitent dix Je vous salue Marie, suivis de l'invocation : O Marie conçue sans péché. La foule prie avec elles. Avec elles aussi, mais pendant les Ave seulement, comme à leur habitude, la Dame et l'Ange. Sur un signe de Monsieur le Doyen, Jacqueline prend son papier et lit :« D'où nous vient cet honneur que vous veniez en l'église Saint-Gilles ? » « C'est parce qu'il y a ici des personnes pieuses et que Jeanne Delanoue y est passée », a répondu aussitôt la Dame. Jacqueline poursuit sa lecture, bien que la deuxième question soit inutile. « Est-ce en souvenir de Jeanne Delanoue qui vous aimait tant, qui aimait tant vous prier à Notre-Dame des Ardillers ? » « Oui, je le sais très bien », interrompt la Vierge, inclinant la tête. « Et qui est venue elle-même établir ses filles  ici », achève l'enfant. « Combien y a-t-il de Sœurs ici ? » interroge la Dame. « Elles sont trois », répond Jacqueline d'une voix forte. « Quel est le nom de leur fondatrice ? » Toute  l'assistance entend : « Jeanne Delanoue ! » Jeannette, ignorante sur ce point, avouera n'avoir pas répondu avec les autres. Les enfants regardent la Vierge dont les yeux sont posés sur elles. C'est Jacqueline qui rompt le silence : « Madame, voulez-vous bien guérir ce qui ont des maladies nerveuses et des rhumatismes ? » (NB Nombreuses étaient les personnes qui venaient charger Jacqueline de demandes diverses qu'elle devait adresser à la Dame.) « Il y aura du bonheur dans les familles... » « Voulez-vous chanter maintenant le Je vous salue Marie ? » « Nous le voulons bien. » Et elles chantent, toujours avec le même entrain ; tandis que la Vierge sourit et lève parfois les yeux vers le ciel. « Est-ce que Monsieur le Curé va construire la grotte ? » « Oui, Madame, nous vous le promettons. » « Revenez demain à 1 heure. » « Oui, Madame, nous reviendrons demain. » « O Marie conçue sans péché », a dit la Vierge. « Priez pour nous qui avons recours à Vous », achèvent les enfants. Et la grande croix de la bénédiction est tracée sur la foule. Les fillettes se signent « très, très lentement ». A leur surprise, la Dame ramène, exactement comme la première fois, sa main droite près de la gauche restée immobile sur la poitrine. Pas plus qu'hier l'Ange ne s'est signé. Intriguées, elles demanderont plus tard pourquoi ? L'apparition a disparu. Elle était sous leurs yeux depuis treize minutes. Les quatre se rendent alors à la sacristie et livrent à Monsieur le Doyen et aux Sœurs l'enchaînement des demandes et des réponses dans la mystérieuse conversation. L'après-midi, continueront les tracasseries. Mme Aubry recevra d'abord l'offre qui lui fera Mme X... d'une visite médicale pour Jacqueline. « Ce n'est pas une visite mais quatre qu'il vous faut payer », répondra-t-elle, « car elles sont quatre à voir la même chose ». Puis surviendra la maréchaussée. L'un des deux gendarmes défendra à la grande de retourner à l'église. « Monsieur, si vous voyiez ce que j'y vois vous y retourneriez. » Mme Aubry conclura l'entretien : « Elle a commencé d'y aller, elle y retournera jusqu'au bout. » A 17 heures, plusieurs personnes se rendront à Saint-Gilles. Une jeune fille malade, de Saint-Épain, viendra même demander sa guérison. Mais la Dame n'a pas convoqué les fillettes pour ce soir.

Vendredi 12 décembre 1947

Du fond de la classe, Jacqueline a copié, sans ses lunettes, l'énoncé du problème inscrit au tableau noir, à 4m.50. Sœur Saint-Léon est de plus en plus troublée ; cependant, à la récréation de 10h.30, elle prend la grande dans le couloir. « Tu n'as pas bientôt fini tes comédies ? » « Quelles comédies, chère Sœur ? » « Mais celles de faire croire à tout le monde que tu vois la Sainte-Vierge, toi et les autres, de faire venir la foule tous les jours à 1 heure ! Je commence à en avoir assez. Si tu continues tu vas jeter le discrédit sur l'école. » « Oh ! non, chère Sœur, je ne joue pas la comédie. Mais Monsieur le Curé et vous, vous ne voulez pas me croire. » Jacqueline a des larmes dans les yeux. Pourquoi ? se demandent en effet les fillettes. Sœur Marie de l'Enfant-Jésus leur a dit que c'était peut-être « pour les éprouver » ou « par prudence », au cas d'une intervention possible « du diable ». Jeannette avait déjà répondu quelques jours plus tôt : « Le diable ne peut pas se faire aussi beau que ça. » Jacqueline répondra aujourd'hui : « Oh ! chère Sœur, c'est pas vrai, c'est pas le diable : Je suis trop contente quand je la vois et puis elle est si belle, elle a des yeux si doux. » Nicole n'est pas épargnée non plus par la directrice : « Est-ce vrai que la Dame a demandé la grotte en papier ? Je ne peux pas croire cela. » « Aussi redemande lui donc demain, tu me diras ce qu'elle te dira. Puis tu lui demanderas s'il faut laisser l'autel ? » Ni les unes ni les autres ne manqueront le rendez-vous  de 13 heures à Saint-Gilles. Et, comme chaque jour, elles arriveront ensemble : Jacqueline, Nicole et Jeannette ayant l'habitude d'appeler Laura au passage.

Trois cents personnes au moins sont à l'église - certaines depuis midi - la plupart dans la nef de la Sainte-Vierge archicomble. Le doyen a repris sa place de la veille.  A l'autel Saint-Laurent : la Supérieure et Sœur Marie de l'Enfant-Jésus. Sœur Saint-Léon est cette fois derrière l'autel où se cachent aussi, pour mieux voir sans être vus, le docteur et Mme Tabaste. Trois prêtres voisins de l'Ile-Bouchard sont là : MM. les Curés de Parçay-sur-Vienne et de Saint-Épain, M. l'Aumônier du « Temple ».Les fillettes sont agenouillées coude à coude sur leur marche. Comme elles regrettent la solitude des premiers jours ! A 13 heures : La boule ! Le rideau ! La Dame et l'Ange ! Phénomène nouveau. S'épanouit derrière la tête de la Vierge une auréole qui scintille avec vivacité. De longs croissants de 0,27 cm. environ, d'une lumière extraordinaire, fusent aux bords du voile, commençant à la hauteur des oreilles, les pointes relevées. Ils sertissent presque complètement le haut du visage. Cinq de chaque côté : le premier est d'un marron-rouge, le deuxième rose, le troisième vert, le quatrième jaune, le cinquième rouge. Ils s'insèrent presque, sans se toucher cependant, les uns dans les autres. Au-dessus du front, entre les deux derniers qui ne se rejoignent pas, jaillissent, pareils à des aigrettes qui seraient faites de rayons vibrants, deux faisceaux, d'une intense lumière bleue, qui se séparent au sommet. Les enfants sont en admiration. Et leurs yeux vont et viennent sur la gerbe de couleurs. Des couleurs dont elles rediront sans hésiter, et dans l'ordre, les noms. (Note : Les enfants n'ont jamais prononcé le mot « auréole » qui correspond cependant à leur description, elles disaient « arc en ciel », un « arc en ciel » dans lequel, d'après leur remarques, il n'y avait « pas de violet ». Cette auréole n'avait pas la forme ronde que l'on retrouve ordinairement dans l'iconographie, elle évoquait plutôt la forme d'une coquille.) Après un échange de mots à voix basse entre Jacqueline et Nicole, la Dame a dit, souriant : « Chantez le Je vous salue Marie. » Les enfants obéissent. Elles égrènent ensuite une première dizaine d'Ave, auxquels répond la foule, et achèvent l'invocation que, par trois fois, la Dame a ajoutée : O Marie conçue sans péché. « Rechantez le Je vous salue Marie. » « Oui, Madame. » « Comment ? » fait Jacqueline. « Voulez-vous rechanter le Je vous salue Marie ? » de la même voix lente et douce. « Nous le voulons bien », répondent les quatre voyantes qui le commence aussitôt et le font suivre trois fois de l'invocation. Maternelle, la Dame s'est inclinée. Elle a fait son signe d'appel et redit, comme hier : « Baisez ma main. »Comme hier et dans le même ordre, les enfants ont porté leurs lèvres sur les doigts de la Vierge. La foule que surprend toujours l'aisance de Jacqueline élevant chaque petite « comme une poupée », remarque que c'est au même point de l'espace au-dessus des feuilles de phormium que les enfants posent leur baiser. Sur la poitrine de la Dame il est aisé de lire pour les fillettes :  « Magnificat », bien que la main gauche soit posée sur le cœur. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame, nous prions. » « Bien. Surtout priez beaucoup pour les pécheurs. » Et c'est une nouvelle dizaine d'Ave suivie de l'invocation dite encore trois fois par les fillettes. Jacqueline demande alors : « Madame, voulez-vous guérir cette jeune fille ? »  Il s'agit de la malade de Saint-Épain présente dans l'Église. « Si je ne la guéris pas ici, je la guérirai ailleurs. » « Oh ! Madame, voulez-vous guérir une personne très pieuse ? » La Vierge ne répond pas. « Elle demeure à Angers. » (NB Jacqueline se souvient fort bien du nom de la personne qui la chargera de cette requête.) Alors la Dame, triste : « Je ne suis pas venue ici pour faire des miracles mais pour que vous priiez pour la France. » Et la Bénédiction lente tombe sur tous. Les enfants font leur signe de croix. Les grands murs blancs de l'église sont maintenant devant elles. L'impression de M. le chanoine Ségelle est aujourd'hui - comme celle de la Supérieure - moins bonne qu'hier. Il eut aimé moins de mouvements et plus de recueillement dans les yeux. Le Dr Tabaste, lui, reste surpris des mots échangés tout bas et des regards de Nicole vers sa cachette. Devant le rôle prépondérant de Jacqueline, il s'en va disant : « J'ai l'impression que c'est l'aînée qui mène la  danse. » Beaucoup par contre, sont bouleversés et convaincus. Questionnées, les fillettes répondront qu'elles ont été frappées surtout par l'incroyable splendeur de l'auréole. La grande n'a pu s'empêcher d'exprimer son émerveillement : « Tu vois l'arc-en-ciel, Nicole ? oh ! comme c'est joli ! » - « Oui, c'est brillant ! » répondra, toujours concise, la cousine. Sans se faire prier elles rapporteront leur brève conversation. Au presbytère elles subissent maintenant leur premier interrogatoire. Et, de plus en plus, à l'Ile-Bouchard et dans la région on se passionne pour les apparitions.

Samedi 13 décembre 1947

L'impression plutôt défavorable de Monsieur le Doyen n'est pas dissipée. Il restera à la sacristie avec les Sœurs, aujourd'hui. Quatre confrères sont là qui pourront observer à sa place : deux pères montfortains, le curé de Crouzilles et le curé d'Avon. De plusieurs lieues à la ronde, dès midi, piétons, cyclistes, automobilistes arrivent. La mère de Nicole vient pour la première fois. De Richelieu, le Dr Ranvoizé. Le nombre des présents dans l'église ? Il oscille, selon les évaluations. A coup sûr il n'est pas inférieur à cinq cents. Cette foule sera constamment recueillie et priera. Les fillettes sont devant la Sainte-Table, tour à tour agenouillées ou assises. Sans tourner la tête, elles récitent le chapelet avec la foule. Très simplement, sans contention apparente. Deux fois Jacqueline, qui s'avouera émue ce jour-là, parlera à sa cousine. Nicole, qui a regardé son aînée, va s'agenouiller sur la marche de l'autel ayant Jeannette à sa gauche et Laura à sa droite. La critique du Dr Tabaste a blessé la grande. Non, elle ne mène pas la danse ! Pour le prouver, elle ne suivra pas ses compagnes, mais restera un mètre environ derrière elles, en retrait, vers la gauche, genoux nus sur le pavé. Avec ensemble les quatre ont levé la tête. Nulle raideur dans leur attitude. Elle regardent au-dessus du phormium, comme toujours. Laura parfois semblera se désintéresser de ce qui se passe ; les autres sont attentives, immobiles, les deux sœurs surtout. Jeannette a la tête renversée en arrière, « le cou cassé », selon l'expression du terroir. Leur visage sans pâleur est calme, empreint cependant d'une certaine gravité. Le naturel de leur attitude, leur simplicité, leur attention frappent tous ceux qui les voient bien et ne cesseront de frapper le Dr Ranvoisé en particulier. « Chantez le Je vous salue Marie », a dit encore dans son sourire, en arrivant, la Dame, qui n'a plus sa multicolore auréole. Les quatre voix s'élèvent, timides d'abord. Elles prennent de l'assurance. L'ensemble comme toujours est juste, les voix agréables. Quand elles se sont tues : « Commencez par le Je vous salue Marie. » « Oui, Madame. » C'est la première dizaine d'Ave et l'invocation habituelle à Marie conçue sans péché. Puis le silence. Tendant un bouquet d'œillets roses, Jacqueline élève la voix. « Madame, voici des fleurs ! » La Vierge se penche, sourit et d'un petit signe de croix, avec son habituelle lenteur, silencieusement les bénit. « Oh, Merci ! » S'égrène la deuxième dizaine d'Ave suivie encore de l'invocation trois fois dite par les enfants. La foule répond. Puis un nouveau silence qu'interrompra bientôt le chant du Je vous salue Marie. Et le silence encore. Et une nouvelle dizaine d'Ave que la Dame fera suivre elle-même de l'invocation : O Marie conçue sans péché. « Priez pour nous qui avons recours à Vous » ont répondu trois fois ensemble les enfants. « Madame, implore alors Jacqueline, faites donc un miracle. » « Plus tard ! » Les Ave reprennent - quatrième dizaine - suivis de la triple invocation par les fillettes, du chant du Je vous salue Marie et de la triple invocation encore. Que se passe-t-il à ce moment ? Jacqueline incline la tête, la relève, fait un signe de croix et s'incline à nouveau. Nicole regarde sur sa droite la nappe de l'autel. C'est alors, probablement, qu'elle demande à voix basse : « Madame, quand on fera la grotte, faudra-t-il laisser l'autel à côté ? » « Oui, laissez l'autel à côté. » Elle seule entendra la réponse. « O Marie conçue sans péché », disent à nouveau trois fois les enfants ; la foule achève. Après la dernière dizaine d'Ave, la Dame est intervenue. La foule entend les enfants qui, simultanément, par trois fois, répondent : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Elles se sont tues. Bientôt leur chant repart : Je vous salue Marie, toujours aussi naturel, les voix aussi sûres. Personne n'ose unir sa voix à leurs voix. Elles ont répété : O Marie conçue sans péché ! trois fois, se sont levées et ont fait leur signe de croix. C'est fini ! Avant de partir la Dame a dit : « Je reviendrai demain pour la dernière fois. » Les prêtres ont immédiatement escorté les deux aînées au presbytère et les ont interrogées séparément. Jacqueline garde toujours son air souriant. « Ses yeux et sa physionomie ne trahissent ni le trouble, ni la crainte, ni la timidité, ni l'impatience. Ses réponses sont rapides et précises. » Elle ne se gênera pas cependant pour dire ensuite que, parmi les interrogateurs, elle n'aime pas du tout celui qui, cherchant à l'embrouiller, invente tel détail ou tel geste qu'elle n'a jamais vu. Elle n'aurait pas cru les prêtres « menteurs ». Nicole est toujours aussi paisible. Elle ne semble pas bouleversée. Sa mémoire est fidèle. Dans ses affirmations, on ne la fera pas varier. Les deux fillettes ont dit les mêmes choses. Dehors, la foule s'écoule. Le nombre de convaincus s'est accru. L'impression de Monsieur le Doyen, aujourd'hui, est bonne.

Dimanche 14 décembre 1947

Le temps est sombre. Des cars, des autos, des bicyclettes encombrent la petite place Saint-Gilles et les rues avoisinantes. De l'Anjou même et de la Vienne on accourt. A midi l'église est presque remplie. Plusieurs, refusant d'aller déjeuner, sont restés après la grand'messe de 10 h. 30. Pour faire place à la foule, les visiteurs les plus décidés sortent de nombreuses chaises et des bancs. La chaire est prise d'assaut. Des grappes humaines s'accrochent à des échelles doubles. On monte sur les stalles, jusque sur l'accoudoir des prie-Dieu, sur des planches derrière le maître autel, sur l'autel même de Saint-Laurent que l'on a, à la hâte, recouvert d'étoffes. Les nefs, la tribune, le chœur, le sanctuaire, tout est noir de monde. Beaucoup cependant ne pourront pas entrer. Il y a deux mille personnes peut-être à l'intérieur. De nombreux curieux. Tous les parents des voyantes sont présents. Dans le brouhaha, une voix a commencé le premier chapelet. Vite le silence s'est fait. La multitude prie, et chante les Gloria Patri. De suite un deuxième, puis un troisième sont égrénés. Des gens qui n'ont pas prié depuis longtemps à l'église récitent tout haut des Ave. L'attente dans une telle ambiance en impressionne déjà beaucoup. Pendant ce temps, les quatre fillettes sont arrivées dans la cour du presbytère : Jacqueline en manteau gris foncé, son foulard sur la tête ; Nicole en manteau gris clair, portant un béret bleu ; Laura en manteau bleu marine avec une calotte blanche et Jeannette en manteau gris foncé et béret bleu marine. Calmes, souriantes, elles parlent entre elles et avec Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, attendant que le doyen ait achevé son repas. A 12 h. 50, par la porte de la sacristie, elles entrent dans l'église, conduites par Sœur Saint-Léon qui leur fraye péniblement un passage, enjambant même des bancs. Jacqueline porte un bouquet d'arums, Nicole un bouquet d'œillets roses, Laura un bouquet de violettes de Parme, Jeannette un bouquet de roses. Ces fleurs leur ont été remises pour être offertes à la Dame. Suivent sept prêtres, le maire de l'Ile-Bouchard, le Dr Tabaste, puis la Supérieure des religieuses et Sœur Marie de l'Enfant-Jésus. Sur des prie-Dieu, légèrement en avant de la Sainte-Table, face à l'autel de Notre-Dame des Victoires, les enfants s'agenouillent. Nulle émotion apparente chez elles, sauf peut-être chez Jacqueline un peu pâle. Elles se mêlent à la récitation du quatrième chapelet, dont Monsieur le Doyen dira lui-même les derniers Ave. Dans le silence, à 13 heures, tandis que Laura murmure : « la voilà ! » ensemble elles se lèvent et s'approchent de l'autel. Comme hier, sur le gradin, Nicole est au milieu ; mais Jeannette aujourd'hui est à sa droite et Laura à sa gauche. Toutes les trois agenouillées sur le tapis. Jacqueline sur le pavé encore, en retrait, du côté de l'épître. Elles regardent au-dessus du phormium. Pas un instant ne faiblira leur attention. Pendant 35 minutes, Jeannette, qui semble porter les yeux légèrement plus à droite que les autres, restera immobile, la tête renversée « à m'en donner mal au cou pour elle », diront plusieurs témoins proches, tentés d'aller la soulager. La Dame et l'Ange étaient là, « plus beaux encore que d'habitude », sur le rocher, dans la lumière, devant le rideau d'argent sans plis. La Vierge les regardait. La bonté de son regard, la douceur de son sourire, l'élégance de son attitude, la grâce qui émanait d'Elle, dégageaient leur inexprimable charme. Un charme qu'il aurait fallu rappeler inlassablement à chacune des apparitions évoquées dans ces pages pour rendre rigoureusement le témoignage des enfants. L'Ange, dans sa splendeur, dans son recueillement, les ailes palpitantes comme chaque jour ! « Chantez le Je vous salue Marie. » Silencieuse, la foule écoute les fillettes. « Récitez une dizaine de chapelet. » A leur cadence normale, c'est-à-dire sans lenteur, les quatre, tout haut, prient. Près d'elles, un prêtre fera tomber un siège, elles ne broncheront pas. Devant elles, le même encore tendra un tabouret, elles ne broncheront pas. Comme toujours, cependant elles entendent nettement les bruits dans l'église. « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit », ajoutent-elles. Ce sera la seule fois aujourd'hui. La Dame s'est inclinée. La foule répond, comme elle a répondu aux Ave, comme elle répondra aux troix invocations qui suivent : O Marie conçue sans péché. Le lourd silence retombe. Jacqueline et Nicole se sont approchées l'une de l'autre. Elles lisent ensemble sur le même papier une requête de leur curé, très ému aujourd'hui : « Madame, nous vous demandons de bénir Monseigneur l'Archevêque, ses 25 années d'épiscopat, Monseigneur l'Evêque de Blois (NB C'est l'année du Jubilé épiscopal de S. Ex. Mgr Gaillard. Son Ex. Mgr Robin a été l'élève de M. le chanoine Ségelle, jadis, à Amboise.), les deux paroisses, les écoles libres, la mission du Carême, les prêtres du Doyenné et de donner des prêtres à la Touraine. » La Dame, souriante, incline aimablement la tête en signe d'aquiescement. « Oh! Merci ! » lui répondent les enfants. Puis Jacqueline : « Madame, je vous offre des fleurs. » Sans répondre la Vierge sourit. « Prenez-les ! » Les quatre fillettes sont debout. Les quatre bras tendus présentent les bouquets. La foule est haletante. La Dame, qui ne répond pas, continue de sourire avec bonté. « Embrassez-les », implore Jacqueline qui s'est avancée et a brandi ses fleurs au-dessus des autres, dans l'attention générale. « Je les embrasserai, mais je ne veux pas les prendre, vous les emporterez. » Et la Dame embrasse les arums. Puis, l'aînée prend et élève chaque bouquet. La Vierge embrasse tour à tour les œillets, les violettes et les roses. Les deux derniers bouquets étant plus petits que les autres, Jacqueline s'est dressé sur la pointe des pieds pour les présenter. Manifestement, c'est au même point de l'espace qu'elle les porte. « Merci, Madame. » Les enfants regagnent leur place et s'agenouillent, Nicole s'est reculée un peu cependant. Elles chantent maintenant le Je vous salue Marie. « Faisiez-vous de votre chant une prière ? » leur demandera-t-on ensuite. - « Nous chantions », répondront-elles tout simplement, « pour faire plaisir à la Dame qui le demandait. » On vit ensuite Jacqueline, plus qu'on ne l'entendit, lire quelques demandes confiées par des personnes amies. Son bouquet l'embarrassant, l'enfant le dépose à terre, déplie tranquillement plusieurs autres papiers, et continue de lire. La Dame, calme, bienveillante, écoute, sourit. Elle répond à cette question au moins, de Sœur Marie de l'Enfant-Jésus (NB C'est probablement à ce moment que la question fut posée.) : « Madame, que faut-il faire pour consoler Notre-Seigneur de la peine que lui causent les pécheurs ? » « Il faut prier et faire des sacrifices. » Quand Jacqueline en eut terminé, la Vierge dit : « Continuez le chapelet. » Comme chaque jour la Dame et l'Ange, sans qu'on entende leur voix, s'unissent aux Ave seulement. Trois fois ensuite c'est la Vierge qui dit : « O Marie conçue sans péché. » La foule s'accroche dès les premières syllabes, chaque fois que les enfants répondent : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Jacqueline : « Madame, je vous en prie, faites une preuve de votre présence. » « Avant de partir j'enverrai un vif rayon de soleil. » Et c'est le silence. O Marie conçue sans péché reprennent « avec des intonations diverses et de plus en plus expressives » les fillettes. Priez pour nous qui avons recours à Vous, répond l'assistance. « Dites à la foule qu'elle chante le Magnificat. » « Oui, Madame, nous allons chanter. » Jacqueline : « Chantez le Magnificat ». Le Père Soulard qui, le long du mur, prend des notes, face à elle, transmet. « C'est pour tout le monde ? » demande Monsieur le Doyen. Sur le signe affirmatif qui lui répond, le chanoine Ségelle entonne le Magnificat, que poursuit, debout, la foule immense. Jacqueline et Nicole remuent parfois les lèvres, s'unissant à la multitude. Jeannette et Laura demeurent silencieuses. Les quatre regards restent levés. Deux fois, on verra Jacqueline sourire à l'invisible personnage, pressant la main sur son cœur. Pendant le chant, la Dame a les yeux au ciel. Son ravissant visage est illuminé d'un sourire. Plus que jamais il respire le bonheur. Le cantique achevé, ses yeux s'abaissent et le sourire va aux enfants, dans le silence revenu. Elle demande encore une dizaine de chapelet, aussitôt récitée et y ajoute trois fois O Marie conçue sans péché. Tous entendent les enfants répondre : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Et le chant du Je vous salue Marie retentit. « Priez-vous pour les pécheurs ? » « Oui, Madame, nous prions. » C'est la quatrième dizaine de chapelet. Et trois fois encore les enfants « prenantes de conviction » diront tout haut : « O Marie conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à Vous. » Après cette quatrième dizaine, le silence. On entend soudain : « Oui Madame ! » et l'on voit les quatre fillettes mettre ensemble les bras en croix. C'est que la Dame a dit : « Récitez une dizaine de chapelet, les bras en croix. » Jacqueline a fait signe au doyen pour exprimer le désir de la Vierge. D'instinct, beaucoup, aussitôt, ont imité le geste. Plus de respect humain en cet instant. Avec ferveur la multitude prie. Nombreux sont ceux qui ont les larmes aux yeux. La dizaine terminée, les voyantes ajoutent trois fois : « O Marie conçue sans péché. » Et, après que la foule leur a répondu, c'est la Vierge qui reprend, Elle même, trois fois l'invocation que, tout haut, achèvent les fillettes. Repartent maintenant les quatre voix légères pour le chant du Je vous salue Marie suivi, selon l'usage à Saint-Gilles, de la triple invocation. Voici que les enfants se signent : la Vierge les bénit. En même temps qu'elles, Elle bénit la foule. Jacqueline remue les lèvres. Le mystérieux dialogue se poursuit : « Allez-vous construire une grotte ? » On entend les voix décidées : « Oui, oui, nous allons la construire. » Puis, c'est un cantique qui ne fut pas encore chanté au cours des apparitions, un cantique que l'on connaît bien à l'Ile-Bouchard : « O Marie conçue sans péché, priez, priez pour la France. » Des voix nombreuses, cette fois ont osé se mêler aux voix des enfants. Suivra, après une pause, le chant du Je vous salue Marie et la récitation de la triple invocation par les enfants. Nicole est bouche bée. Un observateur a noté la mobilité des doigts aux mains jointes de Jacqueline. A ce moment l'aînée, seule, sourit à la Dame. Seule encore, elle fait le signe de croix. Trois fois, les dernières, les voyantes pieusement et simultanément : « Priez pour nous qui avons recours à Vous. » Elles répondent à la Dame qui soudain disparaît. « Faut s'en aller », dit Jacqueline qui se lève.

Depuis quelques instants un rayon de soleil éclaire l'église sombre, le choeur surtout. Il part de la deuxième fenêtre au mur méridional. Exactement du deuxième panneau blanc à losanges de plomb, sur la gauche, un peu au-dessous des fragments « renaissance » qui représentent un buste de sainte. Son éventail de lumière - une lumière blanchâtre, d'un éclat ordinaire, assez vif cependant - illumine l'autel de la Vierge, en entier, l'angle nord-est et le mur nord jusqu'à l'entrée du bas-côté. Il a la chaleur d'un rayon d'été. Plusieurs qui pouvaient voir de face ou de biais les enfants, affirmeront que les visages, celui de Jacqueline surtout, plus pâle, s'éclairaient de curieux reflets. « Quel beau spectacle! » écrit un témoin. Les fleurs de leur bouquets brillaient. Selon certains, on les eut cru perlées ou ornées d'étincelantes gouttelettes de rosée. D'après les fillettes, le rayon projeté sur la Dame, l'Ange et la grotte leur donnait une nouvelle splendeur. Il donnera surtout au globe d'argent, à la fin de l'apparition, un exceptionnel éclat. Dans la campagne avoisinante, en maintes maisons même, il avait paru, provoquant une agréable surprise, sans plus chez les uns ; de l'étonnement, chez d'autres. Tandis qu'il dardait encore dans l'église - il brillera quatre minutes environ - Jacqueline, Nicole, Laura et Jeannette avaient gagné leurs prie-Dieu. C'est au moment où le père Soulard les y conduisait que Jacqueline lui glissa : « Elle a dit qu'elle enverrait un rayon de soleil avant de partir. » Alors, le chanoine Ségelle annonce que c'est là le signe de la fin. Il prie l'assistance d'attendre pour recevoir la bénédiction du Très-Saint-Sacrement. Qu'on ne s'y méprenne pas : cette bénédiction ne constitue pas une approbation des événements qui viennent de se dérouler ; elle doit aider chacun à sanctifier cette soirée de dimanche. A l'Autorité Religieuse de porter un jugement. Les quatre voyantes viennent s'agenouiller sur la première marche du maître-autel, au côté de l'évangile. Elles sont très recueillies. Jacqueline a des larmes dans les yeux. Un interrogatoire suivra instantanément la cérémonie. A la sortie, la foule veut voir les enfants. En vain. Elles-mêmes désirent à tout prix y échapper. Elles iront passer la fin de l'après-midi en promenade avec leurs compagnes, sous la conduite de Sœur Marie de l'Enfant-Jésus, simples comme toujours. Demain reprend leur vie d'écolières. Partout en Touraine on parlera cette semaine des apparitions de l'Ile-Bouchard.

Depuis ce dimanche de décembre 1947, un mouvement de piété n'a cessé de se manifester dans la vieille  église Saint-Gilles. Le rocher de la crèche, en papier, demeura après Noël ; une statue de Notre-Dame de Lourdes y prit place. Une grotte de pierre et de dalles de verre s'y substituera plus tard abritant la Vierge de Massabielle. Des fleurs sans cesse sont apportées. Des cierges brûlent. Des pèlerinages spontanés, nombreux, arrivent de Touraine, des diocèses voisins, de diocèses lointains aussi. De l'étranger même on vient maintenant à l'Ile-Bouchard. Les enfants n'ont rien oublié. Tout au plus quelque confusion dans le déroulement rigoureux des faits, l'hésitation sur un détail, voire sur un mot d'importance secondaire. Elles ont su résister, le plus souvent, aux indiscrets, se cachant même ou jouant de ruse pour les éviter. Elles souffrent aujourd'hui encore quand on semble mettre en doute leurs paroles. De leur simplicité elles n'ont rien perdu. L' Autorité Religieuse jusqu'ici est restée silencieuse.

Un courant de prière

Vingt ans après les « événements » la vieille église Saint-Gilles continue d'être très fréquentée. Ses voisins les plus proches témoignent volontiers d'allées et venues quotidiennes nombreuses ; qu'on les interroge. Le chanoine Ségelle, jusqu'à son départ en 1960, a jeté, chaque soir ou à peu près, sur le papier quelques notes concises, en style télégraphique, pour enregistrer ce qu'il avait vu. Il  n'était pas question pour lui de dresser des listes complètes de visiteurs ou de « pèlerins » ; comment aurait-il pu le faire avec un ministère qui l'appelait très souvent de divers côtés ? Aussi faut-il multiplier probablement par 2 ou par 3 les chiffres qu'il donne. Il n'avait pas d'avantage l'intention de retenir les noms de personnes qu'il ne connaissait pas et que la discrétion lui interdisait de demander. Telles qu'elles sont ces notes alertes, écrites currente calamo, constituent un document révélateur du courant de prière qui n'a cessé ici. Pour jalonner le temps, prélevons quelques pages de ces cahiers :

Mai 1950. - Le 1er : une quarantaine de personnes de Chateau-Gonthier ; une Sœur de Saint-Vincent ; un prêtre. Le 2 : un prêtre de Tours ; un autre..., plusieurs autres. - Le 3 : un groupe de prêtres et de fidèles, trente-deux en tout, vendéens et nantais, au retour de Rome. - Le 4 : de la Mayenne : Messieurs, dames, fillettes ; une malade. - Le 5 : un groupe d'Ile-et-Vilaine. - Le 9 : des « Sœurs » de Tours. - Le 12 : douze ou treize Sœurs de Saumur. - Le 13 : un Abbé bénédictin ; un moine ; un prêtre de Touraine. - Le 14 : de Châteauroux un couple ; de Loudun, de Châtellerault, et toute la journée. - Le 19 : Courcoué ; Louans avec les enfants de la Communion solennelle qui avait eu lieu la veille. - Le 21 : c'est dimanche, donc... - Le 28 : une dizaine de parisiens venant d'Issoudun et de Pellevoisin (L'Ile-Bouchard n'est sûrement pas sur leur route pour retourner à Paris). - Le 29 : Exireuil (Deux-Sèvres) soixante personnes avec leur curé, messe ; Chinon, orphelinat ; Angers, deux cars ; Saint-Pierre de Saumur ; d'Amboise, de Loches, de Poitiers, de Cholet ; Saint-Hilaire-Saint-Florent, soixante jeunes filles, etc.,etc., - Le 30 : deux paroisses du Maine-et-Loire et leur curé, une soixantaine ; une famille de Mulhouse ; Notre-Dame des Mauges, Sœurs, jeunes filles, curé, messe ; Sœurs de Bagneux. - Le 31 : Sœurs de Tours, avec 120 élèves, une famille de Cheillé.

Octobre 1954. - Le 3 : un groupe de quatorze bénédictins. Du 4 au 10 : des messieurs ; des dames ; un prêtre ; des Sœurs de Saint-Vincent ; un professeur de philosophie. - Le 10 : soixante américaines du camp d'Ingrandes, messe par l'Aumônier. - Le 12 : deux prêtres. - Le 13 : un autre. - Le 14 : des religieuses de Saint-Vincent ; des clarisses ; un homme en prière avec son livre. - Le 17 : un curé de Touraine avec sa mère ; à un moment 25 personnes environ ; quatre personnes de Tours ; une famille d'Angers soit une dizaine de personnes ; plusieurs personnes d'Angers. - Le 18 : Dames de Saint-Rémi (Vienne) ; un homme de la Vienne. - Le 19 : Un groupe (une quinzaine) hommes et femmes de la Loire-Inférieure. - Le 23 : un homme en prière ; un architecte de Paris ; treize enfants de la paroisse Sainte-Clotilde de Paris. - Le 24 : dans la soirée, après le salut. - Le 25 : une famille de Paris revenant de Lourdes. - Le 26 : c'est le mardi..., donc... - Le 27 : une dame de Saint-Épain ; une autre de Tours. Au chapelet de 13 heures. - Le 31 : de Châteauroux ; de Chemillé (M.-et-L.).

Juillet 1958. - Le 1er : une école libre de Blois ; religieuses tourangelles. - Le 2 : un jeune homme et ses parents. - Le 5 : deux Sœurs de la Pommeraye ; plus tard quatre autres ; midi : un groupe de douze pèlerins venus de la Sarthe ; vers 18 heures : un car bondé de Choletais. - Le 7 : un évêque (NB Une douzaine d'évêques au moins auront été vus ici un jour ou l'autre en prière.) ; un groupe de Saumur. - Le 8 : un grand car du Segréen ; deux personnes aperçues. - Le 11 : un prêtre ; une femme écrivain connue. - Le 12 : un car de garçons et de fillettes venu avec des religieuses du Loiret ; des religieuses de la Pommeraye et un groupe de jeunes filles du Beaugeois ; un groupe de dix d'où ? - Le 13 : un groupe de Vendée ; un prêtre d'Alsace. - Le 15 : une trentaine de jeunes filles (Anjou ? Vendée ?). - Le 16 : halte d'un car angevin se rendant à Issoudun ; un groupe d'enfants de chœur du Blésois avec plusieurs prêtres. - Le 17 : deux groupes d'enfants. - Le 18 : une religieuse. - Le 21 : un curé du Loiret ; deux habitants de Banneux. - Le 27 : petit pèlerinage.

Les successeurs du Chanoine Ségelle ont témoigné aussi, en des notes rédigées sous une autre forme, de la continuité de ce mouvement : « Il me semble pouvoir affirmer, écrit par exemple le P. Eliot, en 1963, que tous les jours de l'année il y a des visiteurs » ; et le P. Callo, en 1967 : « Depuis que je suis à l'Ile-Bouchard, il n'y a pas de jour, même en hiver, où je n'aie rencontré des gens de tous milieus sociaux agenouillés face à la Grotte » et l'on relève, par exemple, sur son cahier, pour septembre  1966, des pèlerins de Touraine, d'Anjou, du Pas-de-Calais, d'Alsace, du Poitou, de Rome, de Marseille. Bien sûr il vient ici des visiteurs poussés par la curiosité, « quelques autres qui cherchent parfois, rarement d'ailleurs, à se regrouper selon certaines tendances », mais il n'y eut jamais de manifestations extravagantes et l'on ne releva jamais qu'attitudes respectueuses. Le P. Eliot a écrit : « L'immense majorité des pèlerins vient ici pour prier la Sainte Vierge ; ce qui est une manière de lui dire combien elle est aimée... » « Ils viennent dans un lieu qui, s'il n'est pas reconnu comme terre d'apparitions, possède cependant une attirance et suscite une réelle prière. Il est clair que cette catégorie est l'élément dominant de la foule, et cet élément est un élément actif et même radio-actif. Ils prient et incitent les autres à prier. Du reste il est incontestable que la prière y est fervente et de bon aloi. » C'est la suite rigoureuse de ce qu'avait noté de son côté le chanoine Ségelle : « Ici on prie avec ferveur » ; « Ici on est en paix » disent souvent les pèlerins ; « Pourtant, ajoutait le chanoine, devant ce défilé incessant, jamais aucune propagande n'a été faite ici ». Certains « pèlerins » ne restent que « peu de temps », « d'autres demeurent volontiers de longues heures ». La plupart récitent le chapelet. Si l'on chante, c'est de préférence le « Magnificat », et « O Marie conçue sans péché, priez, priez pour la France », beaucoup, en effet, viennent ici prier pour la France. Certains parcourent, sur place, l'opuscule « Les Evénements mystérieux », demandent des explications ou cherchent à savoir si l'Eglise a porté un jugement. Il y a encore, l'hiver surtout, ceux qu'on pourrait appeler « les pèlerins par correspondance ». Le clergé a constamment reçu un courrier assez abondant et encore aujourd'hui où le Père Callo indique la provenance des lettres qui lui parviennent : la Région parisienne, l'Angoûmois, l'Anjou, le Nantais, la Normandie, les Charentes, le Nord, la Lorraine... Au sujet de ce courrier on lit dans les notes du P. Eliot : « Quels que soient les signataires de ces lettres, je me plais à y relever sous des formes diverses deux attitudes parfois complémentaires l'une de l'autre : 1° une attitude de confiance indéfectible envers la Très Sainte Vierge ; 2° une attitude parfois douloureuse, parfois inquiète, parfois durement revendicative d'attente d'une prise de position par l'Église. » La plupart de ces lettres demandent des prières ou signalent des grâces reçues. Ce courant de piété mariale a ses points culminants : le 8 décembre et le 15 août. A ces notes, le père Arrouet, curé doyen de l'Ile-Bouchard, ajoute : « Depuis 1974 que je suis ici, il n'y eut pas une seule journée sans visiteur venant prier Notre-Dame, pour demander et remercier. » « Ce courant de prière a toujours ses points culminants le 8 décembre, au mois de mai, le 15 août, durant le mois du Rosaire. D'où viennent les pèlerins ? de Touraine, d'Anjou, de Bretagne, de Vendée, d'Alsace, de Marseille, de Nice, de la Région Parisienne, de la Guadeloupe, de Belgique, de Suisse, d'Angleterre. » « Le 8 décembre rassemble toujours huit cents à mille personnes dans une ambiance très vivante de prières et de chants. Plusieurs affirment avoir été très marqués par cette journée.



10/05/2008
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