Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

La servante de Dieu Madeleine Delbrêl

Madeleine Delbrêl

Missionnaire de la rue

1904-1964

 

Quelle folie a poussé cette jeune bourgeoise à vivre trente ans dans une ville communiste, athée, sans autre idéologie que l’Evangile proclamé à temps et à contretemps, sans autre doctrine qu’une foi vibrante de charité et pétrie d’espérance ? C’est la certitude tranquille et indéracinable que le Royaume de Dieu veut transpercer le monde. Car chacun de nous peut aimer ses amis ; mais si vous voulez aimer ceux qui ne vous aiment pas, il faudra tout le temps marcher à leur rencontre.

« A quinze ans, j’étais strictement athée »

 

Madeleine Delbrêl, née le 24 octobre 1904 à Mussidan en Dordogne, grandit dans la maison de ses grands-parents maternels. Son père, originaire du Lot, est cheminot et change donc régulièrement d’affectation au fil de l’avancement. Après Mussidan, il est muté à Lorient, puis à Nantes, Bordeaux, Châteauroux et, en 1913, à Montluçon. Ces déménagements successifs et la santé fragile de Madeleine ne lui permettent pas de suivre une scolarité normale. Aussi reçoit-elle des leçons particulières. Elle rencontre, à Châteauroux et à Montluçon, des prêtres qui éveillent en elle une foi simple et profonde, la préparant à sa première communion qu’elle fait à douze ans avec une grande ferveur.

En 1916, son père est nommé à Paris. Madeleine est alors plongée dans un milieu intellectuel où elle est saluée comme une enfant prodige. En effet, elle écrit des poèmes, s’intéresse aux arts, à la peinture, à la musique, s’intègre dans le cercle cultivé et agnostique que réunit autour de lui M. Delbrêl, ami des lettres et poète également : Si des gens exceptionnels m’avaient donné, de 7 à 12 ans, l’enseignement de la foi, d’autres gens non moins exceptionnels me donnèrent ensuite une formation contradictoire ; à quinze ans, j’étais strictement athée et je trouvais le monde absurde. Une amie la décrit à seize ans : Madeleine était alors une adolescente lyrique et grave, sans la finesse d’humour qu’elle montrera par la suite. Madeleine cherche dans l’art et dans l’intelligence une réponse à ses angoisses, mais le monde et l’histoire se révélaient comme la plus sinistre farce qu’on puisse imaginer. Elle mène extérieurement une vie gaie et futile, visitant les musées, partageant sur ses lectures, fréquentant les bals. Vingt ans plus tard, elle se souviendra de ces plaisirs dans le beau texte « Le Bal de l’Obéissance » : Seigneur, apprenez-nous à revêtir chaque jour notre condition humaine comme une robe de bal ; faites-nous vivre notre vie comme un bal, comme une danse, entre les bras de votre grâce, dans la musique universelle de l’amour. Mais, à dix-sept ans, elle écrit : Dieu est mort... vive la mort !

 

Une petite cellule d’Eglise

 

Fiancée à 19 ans, elle apparaît épanouie de joie, mais s’interroge sans cesse sur le sens de sa vie : J’aurais donné tout l’univers pour savoir ce que j’y faisais. Son fiancé, Jean Maydieu, la quitte pour devenir dominicain. Elle se met à réfléchir, tout en rencontrant des chrétiens qui vivaient la même vie que moi, discutaient autant que moi, dansaient autant que moi. Il s’en suit, en 1924, une conversion violente : elle se nomme une éblouie de Dieu. Elle entame alors une recherche religieuse raisonnable : Lisant et réfléchissant, j’ai trouvé Dieu, mais en priant, j’ai cru que Dieu me trouvait. Elle pense entrer au Carmel. Mais son père perd la vue, ce qui aggrave son caractère déjà difficile, et mène une vie anarchique. Madeleine reste auprès de sa mère, femme douce et effacée. Elle s’oriente donc dans la vie laïque et commence le scoutisme. Elle rencontre l’aumônier, l’abbé Jacques Lorenzo, d’Ivry-sur-Seine, un passionné de l’Evangile : L’Evangile dont il disait qu’on pouvait le vivre partout, il put le vivre jusqu’à la fin ; pour lui, un banc de métro fut un petit peu une croix. En 1931, poussée à transmettre un salut qui ne vient pas d’[elle] et qui a la taille du monde entier, elle décide de s’installer à Ivry, la « cité rouge aux 300 usines », sans autre commandement que celui de la charité. Elle s’y prépare en entreprenant des études d’assistance sociale. C’est le 13 octobre 1933, à 29 ans, avec deux compagnes, ex-cheftaines scoutes comme elle, qu’elle crée cette petite cellule d’Eglise née dans notre temps, à l’aise dans notre temps.

 

La tentation du communisme

 

La situation que trouve Madeleine à Ivry, première ville communiste et haut lieu du marxisme en France, est tendue : L’Eglise et la ville étaient en plein antagonisme d’agression ; les chrétiens recevaient des injures des jeunes, et les prêtres des volées de pierre. Les chrétiens répondaient par la guerre froide. Dans les écoles, les enfants se battaient. Madeleine déploie une grande activité dans le service social ; dans sa maison se rencontrent des gens très divers, aux origines et aux idéologies variées, qui se côtoient parce que chacun s’y sent chez soi : ainsi nous livrons passage à la vie de Dieu.

La petite communauté de Madeleine conjugue intériorité et engagement, dans l’humilité et la discrétion : Nous sommes de vraies laïques, n’ayant pas d’autres vœux que les promesses de notre baptême. Madeleine brûle de crier le nom de Jésus parmi ces hommes désespérés sans le savoir : S’ils se retournent en nous entendant appeler Dieu, ce serait pour eux le début de la seule Bonne Nouvelle. Elle ne se pose pas en modèle, mais en témoin : Jésus ne nous a pas demandé d’être des exemples admirables de sa doctrine ; l’exemple de la doctrine que nous avons à fournir, c’est lui-même. En septembre 1939, à la déclaration de guerre, Madeleine est mobilisée dans les services sociaux officiels ; elle déploie alors tout son zèle qui vainc la méfiance des employés communistes : œuvres d’urgence nécessitées par la guerre, secours lors des bombardements, aide aux familles des prisonniers... Après la Libération, elle garde ses fonctions à la mairie. Ainsi continue-t-elle son humble tâche d’être le levain dans la pâte du monde.

Découvrant les injustices sociales et la dureté de la condition ouvrière, Madeleine est conquise par la générosité, le désintéressement, les sacrifices des militants communistes et réalise qu’au nom de deux espérances, le parti communiste et l’Eglise existent dans le monde, agissent sur le monde, travaillent à un avenir du monde. Dans un besoin d’honnêteté, elle achète et lit « Lénine et la religion » ; d’un seul coup, tout fut tranché : L’Evangile éclairait brutalement entre moi-même et le communisme un désaccord fondamental et irréductible. Madeleine ne se trompe pas de combat : Sauver le monde n’est pas lui donner le bonheur, c’est lui donner le sens de sa peine et une joie que nul ne peut lui ravir.

 

« Dieu nous a donné deux mères : Marie et l’Eglise »

 

Madeleine en 1941 rencontre le père Jacques Loew, docker sur les quais de Marseille. Il rend visite à l’équipe d’Ivry et c’est la source d’échanges multiples et d’une amitié qui ne cessera de s’approfondir. La leçon de Madeleine, écrit-il, c’est qu’elle nous apprend la confiance inconditionnelle faite à Dieu. En 1952, l’Eglise prononce l’interdiction des prêtres ouvriers. Madeleine se rend à Rome le 6 mai 1952, pour intercéder afin que la grâce de l’apostolat soit laissée à l’Eglise de France. Pie XII, prévenu, l’attend, mais pour Madeleine, il est tout simplement impensable d’imaginer que le Saint Père veut la rencontrer ; elle prie et repart par le train du soir. Elle lui écrit pour s’excuser et lui confie cette population non seulement sans foi, mais sans mémoire chrétienne dont elle partage la vie. Elle demande pour l’Eglise un élan missionnaire sans cesse plus ardent en même temps qu’un enracinement d’obéissance toujours plus fort.

Madeleine rencontre le pape un an plus tard, en juillet 1953 : Entre les questions qu’il m’a posées et la bénédiction qu’il m’a donnée, le Saint Père m’a dit par trois fois, et avec beaucoup d’insistance, apostolat. Elle part confortée et désireuse de s’ancrer toujours plus dans la prière et l’adoration pour que son action soit un témoignage de la vitalité et de la beauté de l’Eglise : Plus le monde où l’on va est sans Eglise, plus il faut y être l’Eglise. En 1958, Jean XXIII succède à Pie XII : Il fut le dernier maître, celui qu’on n’attendait pas, dit Madeleine. Ce pape venu de chez les pauvres fut homme parmi tous les hommes, prêtre parmi les prêtres, évêque parmi les évêques. Il meurt en 1963 : Aujourd’hui, Paul VI est le pape de l’Eglise en route, il veut trouver en marchant la ressemblance du Christ et la rencontre du monde.

 

« Au carrefour de la charité »

 

Le 6 janvier 1958, le père Lorenzo qui n’a cessé de soutenir le petit groupe meurt dans le métro en disant son bréviaire. Dieu, à travers lui, nous fixait rendez-vous, raconte Madeleine. Il est bien loin, le « Vive la mort » de ses dix-sept ans. Car l’une des constantes de Madeleine, c’est son horreur de la mort, cette horreur de la terre, du noir et du froid qui a fait pleurer même Jésus, une répulsion physique devant l’insupportable : Comme il est étrange qu’en 30 ans de vie commune, aucune de nous ne soit morte. Quand j’y pense, je me sens incapable de supporter la mort de l’une d’elles [ses deux compagnes]. J’ai bien du mal à ne pas souhaiter d’être la première ! Elle prononce ces mots le 22 août 1964.

Dans sa dernière conférence, donnée le 16 septembre à des étudiants, elle rappelle que la foi est faite pour que l’amour éternel de Dieu soit révélé aux hommes à travers tous les temps. Le 13 octobre 1964, en moins d’un quart d’heure, Madeleine Debrêl meurt à sa table de travail, en écrivant. Elle allait avoir soixante ans. La vie, c’est notre maîtresse de mort. Mais à son tour, la mort nous devient maîtresse de vie. Ainsi apprenons-nous à mourir pour vivre de vie authentique. Si l’évêque de Créteil a introduit sa cause en béatification, c’est pour nous affirmer, par l’exemple de cette vie enfouie et rayonnante, que le chrétien ne doit avoir d’autre souci que de s’enraciner dans l’Eglise au carrefour de la charité. Madeleine continue à nous rappeler que tout ce que nous faisons pour Dieu fait avancer le Royaume, qu’importe ce que nous avons à faire, un balai ou un stylo à tenir. Parler ou se taire, raccommoder ou faire une conférence, soigner un malade ou taper à la machine : tout cela n’est que l’écorce de la réalité splendide, la rencontre de l’âme avec Dieu à chaque minute renouvelée. Tout chrétien, à sa place, peut devenir un témoin d’unité et un artisan de paix : Lorsqu’une cellule humaine se déchire dans une colère, une rancune, une amertume, le ferment de guerre peut rebondir jusqu’au bout de l’univers. Mais là où se fait un peu de paix, s’établit une contagion de paix assez forte pour envahir toute la terre.

 

Madeleine, poète et écrivain

 

De ses poèmes de jeunesse, Madeleine a gardé un style vif, imagé, d’une riche sensibilité, où l’humour a remplacé le pessimisme. Elle a beaucoup écrit : articles, conférences, livres, lettres, notes diverses. En 1957, dans Ville marxiste, terre de mission, elle s’interroge sur les exigences de la charité fraternelle dans les combats pour la justice ; ce premier livre eut un réel retentissement. Après sa mort paraît en 1966 Nous autres, gens des rues, regroupant des textes sur la mission du chrétien : « Une fois que nous avons connu la parole de Dieu, nous appartenons à ceux qui l’attendent. » La Joie de Croire en 1968 présente des méditations sur la vie, la souffrance, la prière : « On n’apprend pas la charité, on fait peu à peu sa connaissance en faisant la connaissance du Christ. » En même temps est publié Alcide, petit livre drôle et sensible où un moine imaginaire note ses pensées et ses réflexions sur la vie spirituelle et fraternelle : « N’appelle pas chez le voisin susceptibilité ce que tu appelles chez toi sensibilité. » ; « Quand tu ne peux pas danser, fais danser ton âme. »

 

Madeleine et Sainte Thérèse de l'Enfant Jésus

 

Sainte Thérèse de Lisieux, à la fin de sa vie, traverse l’épreuve de la nuit : Jésus m’a fait sentir qu’il y a véritablement des âmes qui n’ont pas la foi. Madeleine, par sa vocation de missionnaire en milieu marxiste, reprend cette voie d’amour et de petitesse : Peut-être Thérèse fut-elle désignée pour nous enseigner qu’aux missions en étendue allaient se joindre des missions en épaisseur, au fond des masses humaines, en profondeur, la où l’esprit de l’homme interroge le monde. Comme Thérèse, Madeleine aimait chacun avec une intelligence du cœur, dans une attention aux plus humbles choses : Faire de toutes petites choses pour Dieu nous le fait autant aimer que de faire de grandes actions. L’une et l’autre vécurent un destin où le temps était réduit au minimum, les actes ramenés au minuscule, l’héroïsme indiscernable aux yeux qui le regardaient, la mission ramenée à quelques mètres carrés.

 

« Nous autres, gens des rues »

 

Ces extraits datent de 1938 et concernent « les gens de la vie ordinaire » qui trouvent Dieu dans le quotidien de leurs journées. Nous autres, gens de la rue, croyons de toutes nos forces que cette rue, que ce monde où Dieu nous a mis est pour nous le lieu de notre sainteté. Dans la rue, pressés par la foule, nous établissons nos âmes comme autant de creux de silence où la parole de Dieu peut se reposer et retentir. Le monde entier nous est comme un face à face avec lui. Rencontre de son empreinte sur la terre. Rencontre du Christ dans tous ces « petits qui sont à lui » : ceux qui souffrent dans leurs corps, ceux qui s’ennuient, ceux qui s’inquiètent, ceux qui manquent de quelque chose. Rencontre du Christ, rejeté, dans le péché aux mille visages. On sonne ? Vite, allons ouvrir, c’est Dieu qui vient nous aimer. Un renseignement ? Le voici, c’est Dieu qui vient nous aimer. C’est l’heure de se mettre à table ? Allons-y, c’est Dieu qui vient nous aimer.

 

Portrait de Madeleine Delbrêl

 

Madeleine est une silhouette mince, agile, frêle, mais dont l’allure porte une marque d’énergie et de décision. Elle est toute sensibilité : il faudrait parler de ses inventions du cœur, des trouvailles de l’amitié dont elle avait le secret. Ses yeux, grands, lumineux, d’une couleur marron-jaune, vous regardent avec une attention vigilante. Et qui que vous soyez, vous vous trouverez dans ce fragile abri, près de ce cœur, pour une minuscule seconde d’éternité. Un ami témoigne : Madeleine est le seul être au monde qui m’ait aimé en espérance. Elle a deviné mon vrai moi, défiguré pour tous, inconnu de lui-même, enchaîné. « Je garde de Madeleine le souvenir d’un esprit et d’un cœur de refuge », écrit le père Yvan Daniel, ancien curé d’Ivry. Jean Debruynne dit d’elle : « Cette femme m’a appris que chaque homme et chaque femme sont des cathédrales assez grandes pour que nous allions nous y mettre à genoux dans la rencontre de Dieu. » « Elle fut un témoin caché et qui s’appliqua à le demeurer. Aussi demeure-t-elle pour nous le signe de ce que requiert toute présence chrétienne en monde païen. » (L. Augros)

 

Pensées de Madeleine Delbrêl

 

Dieu ne nous demande pas de l’aimer à notre manière, mais à la sienne.

Ne regarde pas tes frères pour les juger, mais regarde-les pour prier.

Servir ses frères, c’est régner avec Dieu.

Laisse agir Dieu : agis ensuite, s’il reste du travail à faire.

N’oublie pas que vivre avec toi peut suffire aux autres pour gagner le ciel.

Si tu crois que le Seigneur vit avec toi, partout où tu as la place de vivre, tu as la place de prier.

Prier, ce n’est pas être intelligent, c’est être là.

Mon Dieu, si vous êtes partout, comment se fait-il que je sois si souvent ailleurs ?

L’Evangile est comme un rendez-vous que le Christ donne à chacun d’entre nous avec lui jusqu’à la fin des temps.

Les chrétiens sont dans le monde comme « conducteurs », dans le sens d’un fil électrique, de ce que le monde ne porte pas de soi-même.

Notre foi devrait faire de nous les plus contemporains de tous les hommes.

 

Texte extrait du site: http//odilehaumonte.ouvaton.org

 

Pour en savoir plus sur Madeleine Delbrêl :

Les Amis de Madeleine Delbrêl,

11 rue Raspail,

F- 94200 Ivry-sur-Seine.

 

www.madeleine-delbrel.net

 

 



01/10/2007
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