Spiritualité Chrétienne

Spiritualité Chrétienne

Sainte Germaine Cousin

Sainte Germaine Cousin

Vierge, Bergère de Pibrac

1579-1601

Fête le 15 juin


« Dieu aime les âmes simples; il ne dédaigne pas de leur révéler ses mystères ». S. Albert le Grand.


Germaine Cousin naquit à Pibrac, petit village à quinze kilomètres de Toulouse, vers l'an 1579. Son père était un pauvre cultivateur, auquel la tradition donne le nom de Laurent, et sa mère s'appelait Marie Laroche mais leurs mœurs honnêtes et leur ardente piété remplaçaient les biens terrestres dont ils étaient dénués. L'enfant qui venait accroître cette famille indigente parut, dès les premiers instants, vouée à la souffrance et aux afflictions. Elle apportait en naissant de cruelles infirmités, étant percluse de la main droite et atteinte de scrofules. A peine sortie du berceau, elle devint orpheline Dieu lui retira sa mère. Son père ne tarda pas à se remarier, et il eut des enfants de sa seconde femme. Celle-ci, comme il arrive presque toujours, au lieu de prendre en pitié l'orpheline que la Providence lui confiait, n'eut pour elle que des regards de haine et de mépris, auxquels elle joignit bientôt les plus barbares traitements. Ainsi notre Bienheureuse, déjà pauvre, infirme, orpheline, fut placée sous le joug d'une marâtre cruelle. Ce furent là les premières grâces de Dieu, qui jeta tout de suite dans le creuset l'or de cette belle âme, pour en tirer le trésor dont il voulait enrichir la terre et le ciel. Voilà l'école où Germaine apprit de bonne heure l'humilité, la patience et les autres vertus. Elle aima la douleur comme une sœur née avec elle, placée avec elle dans son berceau, et qui fut sa constante et unique compagne depuis son premier cri jusqu'à son dernier soupir.


Sous prétexte que c'était un grand danger pour leurs autres enfants de vivre avec une scrofuleuse, sa marâtre persuada à son mari de la tenir éloignée de la maison, en lui confiant la garde des troupeaux. A peine sortie de l'enfance, elle remplit, jusqu'à la fin de sa vie, l'humble fonction de bergère. Dans ce métier où l'on vit trop souvent avec soi-même, ou presque toujours avec les mêmes personnes, Germaine vivait continuellement avec Dieu aussi, loin de perdre son innocence, comme beaucoup d'enfants, ou de rester dans l'ignorance des choses spirituelles, elle trouvait dans la solitude une source de lumière et de bénédiction. Le grand Dieu qui se cache aux savants et aux superbes, mais qui prend plaisir à se révéler aux petits et aux humbles, se faisait entendre à son cœur. Elle sut de bonne heure ce que n'apprennent jamais ceux qui ne lui demandent pas de les instruire. Entourée des créatures de Dieu, elle les entendait louer Dieu tous les mouvements de son cœur s'unissaient à leur cantique éternel. Le monde n'avait plus rien à enseigner à cette ignorante qui connaissait Dieu, et rien à donner à cette indigente qui aimait Dieu. Prévenue d'une telle grâce, la solitude que lui imposait sa profession lui devint délicieuse, non pas tant parce qu'elle y était à l'abri des duretés et des mauvais traitements de sa marâtre, que parce qu'elle y jouissait de la présence de celui que son cœur cherchait 'seul. Elle devait dire comme un Père du désert: O beata solitudo! O sola beatitudo! «  O bienheureuse solitude! O seul bonheur! »


A l'exemple des plus grands Saints, elle se créait une retraite dans la retraite même. Jamais on ne lui vit rechercher la compagnie des autres jeunes bergères leurs jeux ne l'attiraient point, et leurs rires ne troublaient point son recueillement. Si quelquefois elle parlait aux filles de son âge, c'était pour les exhorter doucement à se souvenir de Dieu. Soumise aux ordres de la Providence, elle s'occupait uniquement de donner à Dieu, d'une manière toujours plus parfaite, ce qu'il voulait d'elle dans l'état où sa main miséricordieuse et sage l'avait placée. Elle estimait sa pauvreté et ses infirmités comme des moyens de salut. Exposée aux rigueurs des saisons, elle y voyait, elle y bénissait des occasions de pénitence. Après que Dieu lui eut témoigné sa complaisance en suspendant pour elle, pauvre petite, les lois ordinaires de la nature, elle ne le pria point de guérir un seul des maux qui l'accablaient. Il lui sembla meilleur, quand Dieu l'aimait, de rester dans le rebut du monde, et de garder ce fardeau de misère qui la détachait d'elle-même.


Elle ne supportait pas avec moins de constance et de résignation les peines bien autrement sensibles qui atteignaient son cœur. Il n'y avait rien pour elle dans le cœur de son père, qui aurait dû, par ses caresses, lui faire oublier les duretés de sa marâtre on ne lui faisait point sa place au foyer loin de satisfaire en rien le plus grand besoin, celui d'être aimé sous le toit qui nous a vu naître, à peine lui accordait-on dans la maison paternelle un asile et un abri. La marâtre, toujours irritée, la renvoyait dans quelque coin et la réduisait à prendre son repos dans l'étable ou sur un tas de sarments, au fond d'un couloir. Peu satisfaite de tant de dureté, cette femme, par un caprice de son humeur méchante, défendait encore à Germaine d'approcher les autres enfants de la famille, ses frères et ses sœurs, qu'elle aimait tendrement, cherchant toutes les occasions de les servir, sans témoigner aucune jalousie des préférences odieuses dont ils étaient l'objet et elle la victime.


Dieu lui apprenait à aimer assez les souffrances pour accepter avec joie les humiliations et les injustices. Elle se taisait et se cachait et comme si sa croix lui eût paru encore trop légère, elle y ajoutait des austérités. Elle se refusa durant toute sa vie toute autre nourriture qu'un peu de pain et d'eau. Malgré sa faiblesse et ses incommodités, elle assistait tous les jours au saint sacrifice de la messe. Les obligations même de son état ne l'en dispensaient pas. Pleine de confiance, elle laissait son troupeau dans la campagne et et courait se réfugier aux pieds du divin Pasteur. Une telle conduite eût été blâmable en beaucoup d'autres, et ceux-là ont une dévotion mal entendue, qui, pour la satisfaire, négligent les devoirs de leur état. Mais Germaine ne faisait qu'obéir à l'inspiration de Dieu elle savait qu'aucun accident n'arriverait à son troupeau et que le bon Dieu le garderait en son absence aussi, même lorsque ses moutons paissaient sur la lisière de la forêt de Boucône, riveraine des champs de Pibrac, et dans laquelle les loups sont en grand nombre, notre sainte bergère, au son de la cloche, plantait en terre sa houlette ou sa quenouille et courait à l'appel de celui qui a dit « Ne craignez rien, petit troupeau, je serai avec vous A son retour, elle retrouvait ses moutons où elle les avait laissés, tranquilles et en sécurité comme au bercail jamais les loups ne lui en enlevèrent un seul, et jamais ce trou- peau, gardé par la quenouille de la bergère absente, ne s'écarta des limites qu'elle lui avait marquées, nine causa le moindre dommage dans les champs voisins. Et, comme Dieu s'était plu à bénir les troupeaux de Laban, sous la conduite de son serviteur Jacob, de même il bénissait, celui que conduisait sa servante Germaine. Dans tout le village, il n'y en avait pas de plus nombreux, il n'y en avait pas de plus beau. La marâtre n'en prenait pas moins occasion des absences de notre Bienheureuse pour l'accabler de reproches et d'injures, malgré les remontrances des habitants de Pibrac, plus d'une fois témoins du prodige qui enveloppait le troupeau quand l'Innocente bergère était à l'église.


Sainte Germaine avait une dévotion d'autant plus grande au saint Sacrement de nos autels, qu'elle devait connaître les sacrilèges que les protestants commettaient de tous côtés dans les églises des environs on peut supposer qu'elle était dévorée d'une sainte ardeur de réparer tant d'outrages, en pleurant aux pieds de son Sauveur, sur l'aveuglement de ceux qui méconnaissent les excès de son amour. Elle n'était pas moins assidue à recourir au sacrement de la Pénitence, pour recevoir avec plus de fruit le corps et le sang de Notre-Seigneur persuadée de la nécessité de ses secours pour quiconque veut suivre avec constance et fermeté la voie do la justice, on la voyait s'en approcher chaque dimanche et chaque fête de l'année. La ferveur avec laquelle elle recevait la sainte communion offrait un spectacle si touchant, que ceux qui la voyaient en étaient ravis, et que l'impression n'en put être effacée par une longue suite d'années. Dès son bas âge elle avait donné des preuves de cette tendre et solide piété envers la Mère de Dieu, qui, selon la doctrine des saints Pères, est une marque de prédestination. Son chapelet, qu'elle récitait souvent, était son seul livre. Elle trouvait dans l'Ave Maria une source intarissable de lumières, de consolations et de ravissements. Elle le prononçait encore d'un cœur plus tendre aux heures où l'airain sacré nous invite à saluer avec l'ange, avec sainte Elisabeth et avec l'Eglise, Marie pleine de grâce. Au premier son do la cloche, elle se mettait à genoux, en quelque lieu qu'elle se trouvât. On la vit souvent s'agenouiller ainsi au milieu de la neige et de la boue, sans prendre le temps de chercher une meilleure place, et si la cloche se faisait entendre dans le moment qu'elle traversait le ruisseau qui arrose le territoire de Pibrac, sans hésiter, elle tombait à genoux dans l'eau et faisait sa prière. Toutes les fêtes de la Reine des saints augmentaient la ferveur de Germaine elle s'appliquait à les sanctifier par quelques œuvres de piété et de pénitence. Une de ces couvres que lui inspirait l'amour de Jésus et de Marie était de réunir autour d'elle, quand elle le pouvait, quelques-uns des petits enfants du village. Elle s'appliquait à leur faire comprendre les vérités de la religion, et leur persuadait doucement d'aimer ce qu'elle aimait elle-même uniquement.


Comme elle cherchait en tout les intérêts de son Sauveur et non les siens propres, le monde, qui fait le contraire, devait s'indigner de trouver en elle la condamnation de ses maximes et de sa conduite il rit de sa simplicité et tâcha de la décourager par ses railleries mais, à l'exemple de son Sauveur, elle n'opposa que le silence et la prière à ses ennemis. En récompense, le ciel voulut montrer par des miracles combien cette fille si pauvre et si délaissée lui était agréable. Pour se rendre à l'église du village, elle était obligée de traverser un ruisseau qu'elle passait à gué, sans difficulté, dans les temps ordinaires, mais que les pluies d'orage rendaient quelquefois infranchissable. Un jour, des paysans, qui la voyaient venir de loin, s'arrêtèrent à quelque distance, se demandant entre eux, d'un ton railleur, comment elle passerait car la nuit avait été pluvieuse, et le ruisseau, extrêmement gonflé, roulait avec fracas ses eaux qui auraient opposé une barrière à l'homme le plus vigoureux. Germaine arrive sans songer à l'obstacle, peut-être sans le voir; elle approche ô merveille de la puissance et de la bonté divines les eaux s'ouvrent devant elle, comme autrefois devant les enfants d'Israël, et elle passe sans mouiller seulement sa robe. A la vue de ce prodige, que Dieu renouvela dans la suite très-souvent, les paysans s'entre regardèrent avec crainte, et les plus hardis commencèrent à respecter celle dont ils avaient voulu se railler.


Si quelqu'un sur la terre pouvait se croire dispensé d'exercer la charité en faisant l'aumône, c'était notre Bienheureuse. Certes, elle n'avait point de superflu a donner, puisque le nécessaire même lui manquait. Quelle convoitise à retrancher dans cette vie de privation et de pénitence ? Quelle épargne faire sur les fruits du travail pour lequel elle ne recevait qu'un peu de pain et d'eau, des injures et des mauvais traitements ? Mais, d'un autre côté, comment, en voyant un pauvre, n'aurait-elle pas vu dans ce pauvre Jésus souffrant ? et comment aurait-elle pu voir dans les souffrances celui qui l'avait aimée jusqu'à la mort, sans le secourir ? Elle partageait son pain avec lui dans la personne des pauvres. Ses pieuses libéralités, que Dieu multipliait peut-être, rendirent sa fidélité suspecte on l'accusa, de voler le pain de la maison. Sa marâtre la crut aisément coupable et n'en demanda pas davantage pour la traiter avec la dernière rigueur. Un jour, pendant la plus grande rigueur de l'hiver, elle apprend ou croit s'apercevoir que notre Sainte avait emporté, dans son tablier, quelques petits morceaux de pain. Elle court aussitôt après elle, pleine de fureur, un bâton à la main et gesticulant déjà, lui jetant des injures avant d'avoir pu l'atteindre. Deux habitants de Pibrac, qui cheminaient de ce côté, voyant cette femme hors d'elle-même, devinèrent son projet et la suivirent en doublant le pas, dans le charitable dessein d'arrêter les coups prêts à tomber sur l'innocente victime. Ils rejoignent donc la marâtre, et apprenant le sujet de son emportement, ils arrivent avec elle auprès de Germaine on ouvre son tablier; mais, au lieu de pain qu'on y croyait trouver, il n'en tomba que de belles et fraîches fleurs nouées en bouquet. Le sol de Pibrac n'en avait jamais produit de semblables, et d'où pouvaient-elles venir dans cette rigoureuse saison, sinon du ciel ? Saisis d'admiration, les témoins de ce miracle allèrent aussitôt dans Pibrac publier ce qu'ils venaient de voir. Depuis cette époque on ne la regarda plus que comme une Sainte. Son père, prenant des sentiments plus tendres, défendit à sa femme de la maltraiter davantage et voulut lui donner place dans sa maison avec ses autres enfants. Mais l'humble bergère refusa une telle faveur; elle le pria de la laisser dans le lieu obscur où l'avait confinée sa marâtre.


Après l'avoir ainsi sanctifiée par l'humiliation et les souffrances, Dieu la retira de ce monde lorsque les hommes, devenus plus équitables, commençaient à rendre à sa vertu les honneurs qu'elle méritait. Un matin, son père ne l'ayant pas vue sortir comme à l'ordinaire, alla l'appeler sous l'escalier où elle avait voulu continuer de prendre son repos. Elle ne répondait point; il entra et la trouva morte sur son lit de sarments. Elle s'était sans doute endormie dans la prière. Dieu l'avait appelée: « Venez, ma douce colombe » - Veni, columba mca, lui avait-il dit, et son âme était partie vers son Bien-Aimé, qui lui adressait de si tendres invitations. Ce fut l'an 1601, vers le commencement de l'été. Elle avait vingt-deux ans.

La nuit même de sa mort, deux religieux allant vers Pibrac, surpris par l'obscurité, avaient été obligés de se reposer parmi les ruines du vieux château des anciens seigneurs de Pibrac, si tué sur la route qui conduisait a la demeure des parents de la servant de Dieu et d'y attendre le jour. Au milieu des ténèbres, ils virent passer deux jeunes filles, vêtues de blanc, qui se dirigeaient vers la ferme; quelques instants après, l'apparition reprit le même chemin, mais au milieu des deux vierges il y en avait une autre, vêtue aussi de blanc et couronnée de fleurs. Etonnés de cette vision, les doux religieux pensèrent qu'une âme sainte avait quitté la terre. Le lendemain, au point du jour, les religieux entraient dans le village ils demandèrent si quoiqu'un était mort; il leur fut répondu négativement, car on ignorait encore que Dieu eût appelé à lui la pieuse Germaine. A la nouvelle de sa mort, la foule accourut la voir; les funérailles furent célébrées au milieu d'un immense concours de peuple on voulut honorer celle qu'on avait trop longtemps méprisée et trop tard connue. Elle fut enterrée dans I'église paroissiale de Pibrac, suivant l'usage de cette époque, en face de la chaire. Toutefois, sa place n'eut rien qui la distinguât des autres, et ne fut marquée par aucune inscription. Le souvenir de ses bons exemples et de ses vertus ne périt, point parmi les habitants de Pibrac. Mais ceux qui l'avaient connue disparaissaient peu à peu; on oublia la place où elle reposait, lorsqu'enfin il plut à Dieu de manifester hautement la gloire de son humble servante et de lui donner en quelque sorte une vie nouvelle. Ce fut vers l'an 1644, à l'occasion de l'inhumation d'une de ses parentes, nommée Endoualle le sonneur, se disposant à creuser la fosse dans l'église, avait à peine levé le premier carreau, qu'un corps enseveli se montra. Aux cris que poussa cet homme, effrayé de trouver un cadavre, quelques personnes, venues pour entendre la messe, accoururent près de lui; elles virent et elles ont constate que le corps était à fleur de terre, et que l'endroit du visage, qui avait, été touché par la pioche, ouvrait l'aspect de la chaire vive.


Le bruit de cet étrange événement s'étant aussitôt répandu, les habitants du village vinrent en foule à l'église pour voir, par eux-mêmes, ce qu'on leur avait annoncé. Alors, et en présence de tout le peuple, ce corps, qui n'avait pu que par miracle être ainsi élevé presque sur la surface du sol, fut découvert entièrement. On le trouva entier et préservé de la corruption les membres étaient attachés les uns aux autres et couverts même de l'épiderme. La chair paraissait sensiblement molle en plusieurs parties; les ongles des pieds et des mains étaient parfaitement adhérents la langue même et les oreilles, desséchées seulement, étaient conservées comme le reste. Les linges et le suaire qui revêtaient ces restes précieux, avaient pris la couleur de la terre; mais ils n'avaient pas été plus atteints que le corps lui-même. Les mains tenaient un petit cierge et une guirlande formée d'œillets et d'épis de seigle. Les fleurs n'étaient que légèrement fanées, les épis n'avaient rien perdu de leurs couleurs; ils contenaient encore leurs grains, frais comme au temps de la moisson. A l'une des mains se remarquait une difformité, et le cou portait des cicatrices; à ces signes, tous les anciens de la paroisse publièrent que c'était là le corps de Germaine Cousin, morte depuis quarante-trois ans, qu'ils avaient eux-mêmes connue et dont ils avaient vu les funérailles. Tous les souvenirs aussitôt se réveillèrent la miraculeuse apparition et la miraculeuse conservation de ce corps n'étonnèrent plus personne. On le plaça debout, près de la chaire de l'église, et il y fut laissé dans la même situation, exposé il la vue de tout le monde jusqu'à ce qu'un nouveau miracle donna lieu de le placer plus décemment.


Vers l'an 1645, dame Marie de Clément Gras, épouse de noble François de Beauregard, éprouvant quelque sentiment de répulsion pour ce corps qui était placé près du banc qu'elle occupait dans l'église, avait ordonné qu'on l'éloignât. Peu de temps après, cette dame fut affligée d'un ulcère au sein, et son enfant unique, qu'elle nourrissait, devint malade et fut bientôt à la dernicre extrémité. Les médecins et les chirurgiens de Toulouse, qu'elle fit venir à diverses reprises, ne purent donner aucun soulagement à ses extrêmes souffrances. Son mari alors lui rappela le mépris qu'elle avait témoigné pour le corps de Germaine, et lui dit que peut-être Dieu s'en était offensé et voulait la punir par ce mal cruel dont elle souffrait. A ces paroles, la dame de Beauregard, rentrant en elle-même, s'agenouilla humblement et demanda pardon. Le pardon ne se fit pas longtemps attendre. Durant la nuit suivante, la malade, s'éveillant tout à coup, vit dans sa chambre une grande clarté et crut même reconnaître la bienheureuse Germaine, qui l'assurait de sa guérison et de celle de son enfant. Pleine de joie, elle appela ses domestiques et leur dit ce qui venait de se passer; jetant ensuite les yeux sur la plaie, elle la trouva déjà presque entièrement fermée. Elle se fit apporter aussitôt son fils, et l'enfant, parfaitement guéri, suça abondamment le lait qu'il refusait depuis plusieurs jours. Dès le lendemain, la dame de Beauregard se rendit à l'église, où elle répara publiquement l'outrage qu'elle avait fait aux restes de la bienheureuse Germaine. Pénétrée en même temps de reconnaissance, elle offrit une caisse de plomb pour recevoir ce corps saint. Le curé et les plus notables habitants y enfermèrent eux-mêmes le dépôt vénérable, et il fut porté dans la sacristie.


Soixante ans s'étaient écoulés depuis la mort de Germaine, et un grand nombre de grâces et de miracles avaient été obtenus par son intercession, sans que l'autorité épiscopale eût paru en avoir aucune connaissance; mais Dieu voulait que le nom et les œuvres de sa servante sortissent de cette longue obscurité. Le 22 septembre 1661, Jean Dufour, prêtre vénérable par ses vertus et sa piété, archidiacre de l'église métropolitaine et vicaire général de l'archevêque de Toulouse, Pierre de Marca, vint àPIbrac pour''faire la visite pastorale au nom de ce prélat. Sa présence avait attiré une foule considérable, et les curieux étaient entrés avec lui dans la sacristie. La, son attention fut attirée par la caisse qui renfermait les restes de Germaine. Etonné de voir un cercueil en pareil lieu, il le fit ouvrir, après avoir pris quelques informations. Les témoins étaient en grand nombre le corps fut trouvé tel qu'on l'avait vu seize années auparavant, enveloppé de même, intact, admirablement conservé et flexible. Alors on raconta au vicaire général les particularités de la vie de Germaine, et de quelle manière son corps avait été retiré de terre. Pour ajouter plus de force à ces récits, Dieu permit que deux vieillards, Pierre Paillès et Jeanne Salaires, âgés l'un et l'autre de quatre-vingts ans, se rencontrassent là pour confirmer toutes les dépositions. Non-seulement ils avaient connu Germaine, mais ils étaient ceux-là. mêmes qui se trouvaient présents au miracle des fleurs. Voulant s'assurer de leur véracité, Jean Dufour se fit indiquer dans l'Eglise le lieu où le corps avait séjourné plus de quarante ans. Par son ordre et en sa présence, on ouvrit la fosse, on creusa, et, à la profondeur ordinaire, on trouva les restes brisés et décomposés de cette femme nommée Endoualle, enterrée vingt ans auparavant à la place même d'où le corps de Germaine avait surgi par miracle. On ne pouvait donc plus douter de la nature du sol c'était par la seule volonté de Dieu que les dépouilles de sa servante Germaine avaient été préservées de la corruption commune. Le curé de Pibrac fit ensuite connaître au vicaire général un registre authentique des nombreuses guérisons opérées par l'intercession de Germaine. Ces relations étaient signées des personnes guéries, attestées par les témoins, certifiées par les notaires. Plusieurs habitants se présentèrent, déclarant qu'ils avaient reçu des grâces semblables, et confirmant par leurs paroles ces nombreux témoignages écrits. Le vicaire général admira les voies de la Providence, fit renfermer le cercueil et dressa procès-verbal du tout. En même temps, il défendit au curé, sous peine d'excommunication, d'exposer le corps à la vénération publique ni de le changer du lieu où il venait d'être replacé dans la sacristie. Il permit, toutefois, de recevoir les offrandes que les fidèles pourraient faire au nom de la pieuse Germaine, jusqu'à ce qu'il plût au Seigneur de manifester plus clairement sa volonté à cet égard, ainsi que la sainteté de la personne de sa servante, et que l'Eglise en eût autrement ordonné. D'année en année, de nouveaux et nombreux prodiges montrèrent visiblement que Dieu voulait glorifier, aux yeux des hommes, celle dont la condition avait été si basse, l'humilité si profonde, la vie si pauvre et si cachée.


C'est pourquoi, en 1700, on songea sérieusement à demander au Saint-Siége sa béatification, et à commencer, dans ce but, le procès informatif de l'Ordinaire. Déjà une enquête juridique sur les vertus et les miracles de Germaine Cousin avait été ordonnée, non-seulement par l'archidiacre Jean Dufour, grand vicaire de l'archevêque Pierre de Marca, mais aussi successivement par plusieurs autres évêques, et, entre autres, en 1698, par Colbert, qui occupait à cette époque le siège de Toulouse. Jacques de Lespinasse, syndic de la commune de Pibrac, fut chargé de poursuivre la cause en qualité de postulateur. A sa requête, le 5 janvier 1700, le révérend Père de Morel, vicaire général de l'archevêque Colbert, se rendit dans l'église de Pibrac pour commencer le procès. Cette première visite fut suivie de deux autres, durant lesquelles il procéda, comme nous l'allons dire, à l'enquête qu'il nous a laissée. Le bruit de son arrivée s'étant répandu, avait attiré un grand concours de peuple. Le premier jour, il eut la consolation de donner la communion à près de cinq cents personnes. Toutes les fois qu'il reprit le cours de ses opérations, il célébra la sainte messe et fit une exhortation à cette multitude de gens qui accouraient de toutes parts. Plusieurs encore avaient vu les reliques lorsqu'elles furent levées de terre. On les leur montra, et ils assurèrent qu'elles étaient entièrement les mêmes. Le révérend Père de Morel eut soin de faire assigner toutes les personnes qui pouvaient attester quelques miracles. Il entendit lui-même leurs dépositions, faites sous la garantie du serment. Il dressa un procès-verbal de l'état où il trouva le corps, que l'on reconnut tel exactement qu'il avait été décrit en 1661, par l'archidiacre Jean Dufour. En outre, sa prudence l'obligea de faire procéder au même examen par deux maîtres chirurgiens, auxquels il imposa préalablement, le serment solennel de dire en tout la vérité. On lit dans leurs actes, après le détail de la vérification, qu'ils ont remarqué que le corps n'avait jamais été embaumé, en sorte qu'il n'a pu se conserver sans altération par les moyens naturels, et que la Providence seule a pu opérer ce prodige. Il convient d'ajouter ici que le révérend Père de Morel elles chirurgiens essayèrent de rompre les linges et le suaire, où avait été enveloppé le corps de Germaine mais quelque effort qu'ils fissent, ils ne purent y parvenir. Tout ce qui touchait à ce corps béni avait été soustrait, comme lui-même, aux effets ordinaires de la mort et du temps.


Revenons à l'histoire de la bienheureuse Germaine. Les actes de l'enquête de 1700 furent confiés à un religieux Minime, qu'une obédience appelait à Rome. En même temps, le titre de postulateur fut expédié dans cette même ville au curé de Saint-Louis des Français. Mais, d'une part, le religieux qui avait porté les pièces du procès reçut, dès le lendemain de son arrivée, l'ordre de partir pour les missions du Levant et, d'autre part, après la remise des pièces à la Congrégation des Rites et un commencement d'exécution, les travaux préparatoires furent bientôt arrêtés par défaut de ressources pour parer aux frais de la procédure. Dans les révolutions qui suivirent, ces premiers travaux se sont perdus. Toutefois, la confiance des peuples aux prières de sainte Germaine et le concours à son cercueil allaient croissant, Dieu se plaisant toujours à récompenser la piété des fidèles par de nouvelles grâces et de nombreux miracles. Les archives de Malte en ont conservé la mémoire. Les procès- verbaux de la visite générale du grand prieuré de Toulouse, auquel Pibrac appartenait, attestent unanimement ces faits « Nous avons vu dans la sacristie '), disent les visiteurs, a un petit monument où repose le corps de la dévote et bienheureuse Germaine, qui naquit et mourut à Pibrac, faisant des miracles ce qui attire un grand concours de fidèles infirmes et estropiés, qui recouvrent instantanément la santé ou obtiennent une amélioration dans leur état par son intercession auprès du Dieu tout-puissant On atteignit ainsi les funèbres jours de 1793. L'impiété régnant en souveraine s'appliquait à soustraire à la vénération des fidèles et à détruire tout ce qui avait un caractère religieux. Elle voulut anéantir le corps de la sainte bergère, qui s'était conservé jusque-là dans une intégrité parfaite, tel qu'on l'avait trouvé cent cinquante ans auparavant, lors de sa miraculeuse exhumation.


Un fabricant de vases d'étain, membre du district révolutionnaire de Toulouse, le trop fameux Toulza, dont le nom est resté couvert de l'exécration publique, se chargea de cette opération sacrilége. Quatre hommes du village furent requis pour l'aider. L'un d'eux se sauva, les autres consentirent volontiers à l'ingratitude et à l'infamie qu'on leur demandait. Après avoir retiré le corps de la caisse en plomb, qui fut confisquée pour faire des balles, ils l'enfouirent dans la sacristie même, et jetèrent dessus en abondance de l'eau et de la chaux vive, afin d'en assurer la prompte et complète dissolution. Un prompt châtiment frappa ces trois misérables l'un fut paralysé d'un bras, l'autre devint difforme son cou se raidit et lui tourna hideusement la tête vers l'une des épaules le troisième fut atteint d'un mal aux reins qui le plia pour ainsi dire en deux, l'obligeant à marcher le corps entièrement courbé vers la terre. Ce dernier porta son infirmité au tombeau. Les deux autres, plus de vingt ans après, recoururent humblement à l'innocente vierge, dont ils avaient si indignement profané les précieux restes, et obtinrent leur guérison de ses prières et de la clémence de Dieu. Dès que les temps devinrent meilleurs, le maire de Pibrac, Jean Cabriforce et l'abbé Montrastruc, tout administrateur intrus qu'il était de la paroisse, cédant au vœu de la population, firent ouvrir la fosse. Ils eurent la consolation de voir que le complot scélérat des révolutionnaires n'avait pas entièrement réussi. Sauf les chairs, que la chaux vive avait dévorées, le reste du corps s'était conservé miraculeusement.


Le suaire de soie qui entourait la tête, des fleurs, plusieurs autres objets, précipitamment enfouis avec la vénérable relique, par les violateurs de 1793, furent retrouvés intacts. Le tout, soigneusement recueilli et enveloppé d'un très-beau suaire, don de la piété du. peuple, reprit place, dans la sacristie, au même endroit que les fidèles de Pibrac et les pèlerins du dehors connaissaient depuis si longtemps. Du reste, les malheurs de l'époque ne purent interrompre le concours des affligés qui venaient, auprès du cercueil de Germaine, la prier d'intercéder pour eux. Il fallut même que l'autorité diocésaine mît des bornes à cette dévotion car, dans le désir de vénérer de plus près les reliques de la servante de Dieu, les catholiques entraient dans l'église de Pibrac, desservie, comme nous venons de le dire, par un schismatique, et y prenaient part à son culte réprouvé. A cette occasion, le vénérable administrateur catholique de l'église toulousaine, Mgr Du Bourg, mort évêque de Limoges, leur adressait cette instruction: « Les canons de l'Eglise a, leur disait-il, « défendaient aux fidèles de se prosterner devant les sépulcres des martyrs pour implorer leur secours, afin d'obtenir la santé, quand ils étaient au pouvoir des hérétiques; et notre souverain Pontife nous défend d'entrer dans les églises des constitutionnels, comme Paul V, dont il cite le Bref, le défendait aux Anglais. Une pareille défense a été renouvelée par les supérieurs ecclésiastiques. Ces règlements doivent être rappelés au souvenir des fidèles qui habitent la campagne, et qui, dans leurs infirmités, vont présenter leurs vœux au pied des précieuses cendres de cette sainte fille, connue sous le nom de sainte Germaine, Il n'est jamais permis do faire un mal pour un bien, quel qu'il soit. on n'honore point les saints, on ne mérite pas leurs bienfaits par un acte contraire à la fidélité due à l'Eglise ».


Ces avis étaient imprimés dans un journal religieux, le Catholique du pays, que le pieux administrateur faisait publier chaque mois, afin de suppléer au défaut d'instructions, dont le malheur des temps privait alors les chrétiens. Les Evangiles et les Epîtres du dimanche y étaient reproduits avec quelques explications. On y exposait différents points de doctrine on y rapportait les nouvelles religieuses on y donnait des avertissements aux fidèles on y annonçait les bonnes œuvres on y proposait jusqu'à un sujet d'oraison. Enfin, cette feuille périodique était consacrée à la gloire du Sacré-Cœur de Jésus, dévotion alors très-répandue et à laquelle tout porte à croire que la France dut le terme de ses malheurs. Un aveugle était le distributeur du journal et le portait secrètement aux familles catholiques de Toulouse. Sans autre guide que son bâton, il allait dans toutes les rues, montait à tous les étages, et déjouait ainsi la police révolutionnaire, si minutieuse et si tyrannique à l'endroit de la religion. Soumis aux ordonnances de l'autorité légitime, les catholiques n'entrèrent plus dans l'église de Pibrac. Ils se contentèrent d'aller prier en dehors du cimetière, du côté correspondant à la sacristie, où reposait le corps de la Bienheureuse. Le Seigneur, récompensant la dévotion et surtout l'obéissance de ces fervents chrétiens, leur accordait des grâces extraordinaires, dont ces années de douloureuse mémoire n'ont pu interrompre la chaîne ni étouffer le retentissement. Enfin le schisme disparut; la paix, en rendant à l'église l'unité, lui rendit aussi ses temples. Dès lors, les fidèles purent avoir la consolation de s'approcher du cercueil de la pieuse bergère, de le toucher, de contempler de leurs yeux ses vénérables restes. Le pèlerinage de Pibrac reprit une splendeur nouvelle.


Dans les derniers jours de l'année 1813, la Confrérie de la Sainte-Epine, établie a Toulouse, après la Révolution, par un saint prêtre, et composée des catholiques les plus fervents, amèrement affligée de voir se prolonger la captivité du souverain pontife Pie VII, demandait à Dieu sa délivrance. Confiants au crédit de sainte Germaine, les confrères, dans cette douloureuse circonstance implorèrent son appui auprès de Dieu, et firent vœu d'aller tous les ans en pèlerinage à son tombeau, si le Seigneur daignait exaucer leur prière. Quelques temps après, le Saint-Père, quittant sa prison sans avoir néanmoins encore reconquis sa liberté, prenait la route d'Italie à travers le midi de la France. Le 2 février 1814, il longeait tristement les murs de Toulouse, dans une voiture fermée à clef. Une population immense, accourue de tous côtés, se pressait sur son passage. A genoux, et les larmes aux yeux, elle implorait avec amour la bénédiction de l'illustre et saint captif. On distinguait surtout les nombreux confrères de la Sainte-Epine, levant les mains au ciel, conjurant le Seigneur d'achever son œuvre et de rendre enfin à son siège le chef de l'Eglise. Dès cette année, la Confrérie de la Sainte-Epine accomplit son vœu et n'a cessé, depuis ce temps-là, de se rendre à Pibrac le jour de Saint-Pierre. La Messe et les Vêpres sont chantées dans l'église du village avec la plus grande solennité. Il est ordinaire d'y voir ce jour-là jusqu'à huit ou neuf cents personnes s'approcher de la table sainte. Le pape Léon XII a favorisé ce pieux pèlerinage d'une indulgence plénière.


Pour la Saint-Pierre de 1849, l'affluence au tombeau de la bienheureuse Germaine fut plus considérable que jamais. Les confrères venaient encore cette fois pour la fin de l'exil et le retour dans son siège du Vicaire de Jésus-Christ, l'illustre successeur et ami du Pontife qui avait été l'objet de leur premier vœu. Présentées au Seigneur par la pieuse bergère, leurs prières furent exaucées. La nuit suivante, l'armée française prenait d'assaut la ville sainte, occupée et profanée par des hordes d'impies venus de tous les coins du monde, et replaçait sur son trône l'immortel Pie IX. On raconte que depuis le commencement du siège (aux premiers jours de juin), un des confrères, homme grave, d'une piété reconnue et honorée, était poursuivi nuit et jour, surtout dans ses prières, par la pensée que Rome serait prise sitôt après le pèlerinage de la Congrégation au tombeau de la bienheureuse Germaine, et qu'en conséquence il devait en demander aux supérieurs l'anticipation, afin que la capitale du monde chrétien fût plus tôt délivrée. Après avoir résisté plusieurs jours à cette pensée, il ne put s'empêcher davantage de la communiquer au directeur de la Confrérie, qui ne voulut rien changer à l'usage ordinaire. Néanmoins le siège se prolongea et n'eut réellement sa fin que la
nuit qui suivit le jour du pèlerinage.


Plus on approchait de l'époque marquée par la divine Providence, pour l'exaltation et la glorification de son humble servante, plus on voyait s'accroître le nombre des fidèles qui venaient implorer sa protection ou attester leur reconnaissance. L'hiver comme l'été les pèlerins affluaient à Pibrac, non-seulement des cantons voisins, mais même des provinces de la France les plus éloignées. Ils se tenaient dans l'église avec respect et recueillement, et la plupart y communiaient. On remarquait parmi eux des personnes de la plus haute classe de la société, des prêtres en grand nombre on y vit aussi quelques évêques. Deux illustres princesses qui, l'une et l'autre, connurent longtemps les douleurs de l'exil, regrettant de ne pouvoir visiter elles-mêmes le tombeau de Germaine, y firent porter leur offrande. Les congrégations religieuses, établies à Toulouse ou dans les environs, les filles de Saint-Vincent de Paul, les sœurs de la Croix, les dames du Sacré-Cœur, en faisaient souvent le but d'une pieuse excursion les Pères Jésuites y envoyaient de temps en temps leurs novices les curés du voisinage avaient pris l'usage de s'y rendre tous les ans, accompagnés des enfants de leur paroisse admis à la première communion.


Il faut dire que le culte rendu à la vénérable Germaine alla même trop loin, car il dépassa les bornes voulues par l'Eglise, dans les honneurs à rendre aux serviteurs de Dieu dont elle n'a pas encore reconnu la sainteté. La sacristie, étant devenue trop étroite pour cette affluence de visiteurs, on en dût bâtir une nouvelle, plus belle et plus spacieuse, où le corps fut transféré. Mais cette construction étant humide et défectueuse, au bout de quelques années, il parut convenable de déposer les reliques dans un lieu plus sain, et le vénérable curé de Pibrac, M. Dupoix, entraîné autant par sa tendre dévotion que par la piété reconnaissante des fidèles, les porta dans l'église. On pratiqua dans le mur de la chapelle de saint François de Sales, exposé au midi, une ouverture que les dévots de Germaine, dirigés par le zélé vicaire de la paroisse, M. Montagne, aujourd'hui curé, s'empressèrent d'orner d'une magnifique grille et de marbres précieux, enrichis eux-mêmes d'une inscription en lettres d'or. Le corps fut exposé à la vénération des fidèles, heureux de le voir. Les prêtres ouvraient la grille tous les jours, et passaient une partie de la matinée à faire toucher aux ossements bénis les linges qui, portés ensuite aux malades, leur rendaient souvent la santé. Cette translation et cette exposition dans le lieu saint, violaient formellement les sages décrets d'Urbain VIII. Les conseils d'un ecclésiastique romain, attaché à la sainte Congrégation des Rites et appelé à Toulouse par Mgr d'Astros, firent promptement supprimer ce culte public. Il eût été un obstacle insurmontable au succès du procès de béatification qu'on avait résolu d'entreprendre une seconde fois. Le corps de la servante de Dieu fut placé en dehors de l'église, dans un monument construit sur le sol du cimetière.


Il était temps de reprendre cette cause, entamée il y avait cent quarante-trois ans. Un plus long retard pouvait la perdre à tout jamais. La tradition, qui s'était conservée à l'aide des miracles, passant sans altération des pères aux enfants, allait s'obscurcir ou disparaître. Les troubles de la Révolution, surtout les guerres de l'empire, en retenant et en dispersant la jeunesse loin des foyers paternels, avaient rompu la chaîne jusque-là si nette des témoignages domestiques. Les générations nouvelles n'auraient pu attester que le souvenir général de l'héroïcité des vertus de la Bienheureuse et l'évidente continuité des miracles. Il importait d'interroger les anciens, ceux qui, venus au jour dans un temps plus tranquille, et ne connaissant guère d'autre histoire que celle de leur village, la savaient parfaitement pour l'avoir recueillie de leurs ancêtres, presque contemporains eux-mêmes de cette bergère dont la vie était le grand événement local. Dieu semblait conserver ces témoins chargés d'années pour leur donner le temps de remettre à l'Eglise le dépôt des pieuses traditions qui, autrement, allaient mourir avec eux. Toutefois, avant de mettre la main à ce grand ouvrage et d'embrasser tant de fatigues et de sacrifices, le sage archevêque consulta ses collèges dans l'épiscopat, voulant s'assurer si la réputation des vertus et des miracles de Germaine était aussi établie et répandue qu'on le disait. Un de ses prêtres parcourut les diocèses où la vierge de Pibrac était connue, chargé de recueillir tous les témoignages qui la concernaient, et de demander en même temps aux évêques leur concours. Des procès-verbaux attestant légalement plus de quatre cents miracles ou grâces extraordinaires attribuées à l'intercession de Germaine Cousin, et trente lettres postulatoires d'archevêques et évêques français qui, conjointement avec le Chapitre de leur cathédrale et leur cierge s'unirent à l'archevêque de Toulouse pour solliciter du Saint-Siège la béatification de la servante de Dieu tel fut le résultat de ces démarches préliminaires. Le vénérable métropolitain n'hésita plus, et il confia spécialement le soin de la cause au zèle du prêtre qu'il y avait déjà employé. Parmi les nombreux miracles dont nous venons de parler, nous ne raconterons que ceux que Dieu a opérés dans notre siècle pour glorifier sa servante:


Un jeune homme de la paroisse de Mauvesin, au diocèse d'Auch, nommé Dominique Gauté, perdit tout à coup la vue et demeura entièrement aveugle. 11 sortit de son pays pour aller consulter les médecins les plus célèbres, et ne réussit qu'à acquérir la triste certitude qu'il ne guérit pas. Il avait été atteint de la goutte sereine, mal de sa nature incurable. Son frère Georges, qui l'avait accompagné, non moins désolé que lui, lui dit alors de recourir à Germaine, et tous deux firent bientôt le pèlerinage de Pibrac, avec une vive espérance et une vive foi. Ils entendirent la messe en se recommandant à la servante de Dieu. Les yeux de Dominique étaient couverts d'un linge qui avait touché le corps de la bergère. Dieu voulut le éprouver un peu, et les deux frères sortirent de l'église et se remirent en route tels qu'ils étaient venus, mais cependant pleins d'espérance. Ils avaient raison d'espérer. Bientôt Dominique put apercevoir au loin les ailes des moulins qui tournaient, et avant de rentrer dans sa paroisse, il avait recouvré la vue.


Elisabeth Gay, jeune fille de dix-huit ans, depuis longtemps aveugle par suite d'une humeur qui s'était portée à son visage et sur ses yeux, fut guérie à Pibrac, où ses parents l'avaient menée. Jusqu'à sa mort, qui n'arriva que longtemps après, elle n'eut aucune atteinte du mal dont elle avait souffert. M. de Castex, curé d'Angoumer, atteste que Françoise Ferrière, sa paroissienne, aveugle depuis sa naissance, a été guérie par le moyen d'un linge qui avait touché le corps de Germaine. Le premier août porta à Pibrac un enfant de dix mois, aveugle-né, fils d'Antoine Nous, patron sur le canal du Languedoc. L'enfant recouvra la vue par l'intercession de la bienheureuse Germaine. Une enquête dressée à ce sujet, par M. l'abbé du Bourg, vicaire général, est déposée dans les archives de l'a~chevêché de Toulouse, Antoinette.Estellé, habitante de Pibrac, atteste que son fils avait perdu la vue à l'âge de deux ans et demi. On plaçait devant ses yeux divers objets, on faisait avec la main le geste de le frapper, ses paupières restaient immobiles. On le porta au tombeau de Germaine, et il vit « Il a maintenant quarante-trois ans n, ajoute l'heureuse mère, « et il a conservé la vue et le souvenir de la grâce que Germaine a obtenue pour lui. »


Un miracle plus signalé récompensa la foi de Bertrande Lafon. C'est trop peu dire que l'intercession de Germaine rendit la vue à son fils elle lui donna des yeux. Cet enfant, nommé François, était né avec une infirmité pire que la cécité. Lorsqu'on soulevait ses paupières, toujours abattues, on ne distinguait ni pupille, ni cornée; mais seulement une matière informe comme un morceau de chair. Deux habiles médecins de Toulouse, MM. Massol et Duclos, après avoir essayé pendant trois mois toutes les ressources de leur science, finirent par déclarer à Bertrande qu'il n'y avait rien à faire, que son enfant était né aveugle et resterait aveugle. Dans son affliction, Bertrande ne désespéra pas de la bonté divine. Elle implora la protection de Germaine, et, dès le soir même, en couchant le petit François, elle posa sur ses yeux un linge qui avait touché le corps de la bergère bénie. Vers minuit, elle priait encore auprès de son cher enfant, demandant à Dieu de le guérir, lorsque tout à coup elle crut apercevoir au-dessus du berceau une lumière, une sorte d'auréole. Sa prière en devint plus fervente. Se sentant comme assurée en son cœur d'obtenir ce qu'elle demandait, elle oublia le sommeil et pria jusqu'au jour. Alors, s'approchant du berceau, elle enlève d'une main émue le linge qui couvrait le visage de l'enfant. Bonté céleste ce petit visage, auparavant si morne, est animé de deux yeux vifs et brillants qui se fixent sur elle. Son enfant la voit et lui sourit Folle de joie, elle s'agite, elle pleure, elle crie miracle et, se précipitant à la fenêtre, elle appelle du geste et de la voix tous ses voisins, leur criant de venir voir ce que Dieu venait de faire pour elle. Les voisins, qui savaient combien elle s'affligeait du triste état de son enfant, crurent que l'excès de la douleur lui avait ôté la raison. Ils montèrent avec un sentiment de compassion, pour la calmer et l'empêcher de se porter à quelque extravagance dangereuse. Ils virent son bonheur. L'enfant souriait comme s'il eût eu conscience de la grâce qu'il avait reçue, et les regardait de ses beaux yeux tout pleins de vie; et tous ensemble rendirent grâces à Dieu qui daigne accorder aux hommes de telles faveurs par les mérites de ses Saints.


Plusieurs paralytiques reçurent l'usage de leurs membres par l'intercession de notre Bienheureuse. Nous nous contenterons de rapporter la guérison récente de Jean-Charles-Raymond Cahusac. Une maladie de l'épine dorsale l'avait depuis plusieurs mois privé de l'usage de ses membres. Il ne pouvait ni se tenir, ni marcher. Quand on le soutenait perpendiculairement, ses jambes étaient flottantes comme celles d'un squelette; si l'on appuyait ses pieds à terre, elles fléchissaient aux articulations, sans offrir au poids du corps la moindre résistance. La paralysie de ces extrémités inférieures était complète, il y avait atrophie. Les soins de la médecine avaient été entièrement infructueux. Le 28 avril 1840, il fut porté dans l'église de Pibrac. Pendant la messe, au moment de l'élévation, le jeune malade se lève et se met à genoux, en disant Je suis guéri II reste dans cette position jus- qu'à la fin de la messe. Incontinent après, il marche légèrement appuyé sur le bras de la baronne de Guilhermy, sa grand'mère. C'était environ à neuf heures du matin. A cinq heures du soir, le même jour, il parcourut à pied, sans être soutenu, plusieurs rues de Toulouse, fit des visites, monta des escaliers. Saisi d'étonnement, le médecin distingué, qui avait soigné jusque-là ce jeune enfant, déclara que Dieu seul avait pu opérer cette guérison si subite et qui s'est parfaitement soutenue.


Pour tout dire en quelques mots, on peut avancer qu'il n'y a point de sortes de maladies et d'infirmités que Dieu n'ait guéries miraculeusement pour glorifier l'humble bergère, et presque toujours instantanément à la seule invocation du nom ou au contact des précieuses reliques. Nous allons signaler quelques miracles qui, après mûr examen, ont reçu l'approbation de la Congrégation des Rites et ont été confirmés comme tels par le souverain Pontife.


Vers l'année 1845, il y avait, dans la communauté des religieuses dites du Bon Pasteur, à Bourges, dix-sept religieuses, cinquante-neuf pénitentes et quarante jeune; filles en tout cent seize personnes. Ce nombre croissant toujours et les ressources diminuant, la maison se trouva dans la détresse. Dans cette gêne, la sœur Marie du Sacré-Cœur, supérieure du monastère, se sentit portée à demander secours à la bienheureuse Germaine. Elle ordonna de commencer une neuvaine de prières dans toutes les classes; elle voulut qu'on lût chaque jour quelques passages de la vie de la Bienheureuse, que l'on plaçât une médaille à son image dans le grenier, et que chaque Sœur en portât une sur elle, en priant avec une foi vive. Deux religieuses converses étaient chargées de faire tous les cinq jours le pain nécessaire à la consommation de la Communauté; elles y employaient chaque fois vingt-quatre corbeilles de farine, qui donnaient quarante gros pains pesant chacun vingt livres. Pleine de confiance, la supérieure ordonna aux sœurs de n'employer pour les prochaines fournées que seize corbeilles de farine, au lieu de vingt-quatre qui étaient nécessaires, et elle pria la vénérable Germaine de suppléer à ce qui manquerait. Les sœurs obéirent, mais point de miracle. Les pains suffisaient à peine pour trois jours. Enfin à la troisième fois, la bonne mère s'adressa à la vénérable Germaine et la supplia de ne pas permettre que les pains fussent si petits. Les deux panetières, ennuyées d'être encore obligées de faire le pain avec huit corbeilles seulement pour chaque fournée au lieu de douze, l'expérience leur avant prouvé que la chose ne réussissait pas, résolurent, la pâte faite, de bien remplir les corbeilles, pour que l'on vît clairement qu'il y avait un plus petit nombre de pains et que la supérieure connût bien qu'on ne pouvait réussir à ce qu'elle désirait. Mais à mesure qu'on remplissait les corbeilles, on voyait que la pâte ne diminuait pas en proportion dans la huche. Il y en eut assez pour remplir toutes les corbeilles; il en resta même assez pour ajouter à tous les pains et deux ou trois livres de plus dans la huche. II y eut donc dans cette fournée, avec huit corbeilles, vingt pains qui furent encore plus gros que les pains ordinaires produits par douze corbeilles de farine il en fut de même pour la seconde. Le miracle étant connu, les religieuses les élèves accoururent au four pour voir de leurs propres yeux le pain que Dieu leur avait donné. La supérieure fit rendre des actions de grâces à Dieu et à la bienheureuse Germaine, qui s'était souvenue de leur détresse- le même prodige se renouvela deux autres fois. Les bienfaits temporels de notre Bienheureuse pour cette maison ne s arrêtèrent pas là; à la multiplication du pain succéda la multiplication de la farine Dans la même année 1845, il y avait dans le grenier trois cents mesures de farine qui, entamées le 4 novembre, devaient être épuisées dans les premiers jours du mois de janvier suivant. Cependant la farine dura jusqu'au mois de février. Il y eut donc une augmentation miraculeuse de cent cinquante mesures environ. Le premier dimanche de janvier, la supérieure avait conduit les religieuses dans le grenier, afin qu'elles vissent de leurs propres yeux le miracle qui les nourrissait. Prosternées et laissant couler leurs larmes, elles baissèrent la tête et restèrent quelque temps à prier les bras en croix.


Jacquette, fille de Jean Catala et de Louise Morens, naquit le 7 avril 1821. A l'âge de trois mois, elle eut la petite vérole. Promptement guérie, elle se porta bien jusqu'à dix-huit mois; mais alors elle fut prise d'un mal qui la jeta dans une extrême faiblesse, et qui, croissant de jour en jour, la réduisit au plus triste état. La cheville du pied et la rotule du genou s'enflèrent extraordinairement; les jambes et les cuisses s'amaigrirent au point que la peau était collée aux os; une fièvre lente la consumait. Sa mère, dans sa sollicitude, lui fit longtemps prendre une multitude de remèdes, et, enfin découragée, laissa le mal suivre son cours. Les douleurs de la malheureuse petite fille, loin de diminuer, augmentaient avec l'âge. Au commencement, elle avait pu faire quelque pas, quoique avec beaucoup de peine; bientôt ses pieds contournés et son extrême faiblesse obligèrent de la tenir sans cesse au lit ou attachée sur une chaise. Parfois encore son ventre se gonflait, et elle souffrait alors des coliques affreuses. La désolation de ses parents était sans mesure, surtout celle de sa mère, qui la voyait privée de toute espérance de guérison. Dans l'excès de son malheur, cette mère puisa une confiance sans bornes dans la miséricorde de Dieu; et comme elle avait une grande dévotion a la bienheureuse Germaine, elle fit vœu d'aller trois fois en pèlerinage à Pibrac, les deux premières fois seule, la troisième fois avec son enfant. Elle s'acquitta bientôt de la première partie de ce vœu. Des affaires domestiques étant survenues, l'empêchèrent longtemps d'accomplir la dernière, ou sa foi peut-être avait chancelé. Quoi qu'il en soit, ce ne fut qu'au bout de trois ans qu'elle conduisit l'enfant infirme à Pibrac, en 1828 la petite infirme était dans sa septième année. Voici sa déposition « Je partis à pied )), dit-elle, « avec une de mes amies. Devant nous marchait une bête de somme chargée de deux paniers. Dans l'un j'avais ma petite Jacquette, dans l'autre un autre de mes enfants, et, entre les deux, un troisième âgé de dix ans. Le voyage n'eut rien d'extraordinaire. Nous entrâmes dans l'église. C'était un dimanche, et Monsieur le curé prêchait. Je pris place sur un banc avec mes enfants, Jacquetto entre son frère et moi; et nous la gardions tous deux. Je suivais la messe. Lorsqu'on sonna pour le Sanctus, Jacquette poussa un cri, et j'entendis moi-même un craquement qui me sembla venir de ses os. J'étais dans un état difficile à expliquer. Il me vint à l'esprit que ma fille était guérie; cette pensée venait me distraire sans cesse de mes prières. Au moment de la communion, je recommandai à mon aîné de surveiller sa sœur à cause des regards des assistants, il m'avait répugné d'attacher cette pauvre petite à la chaise, comme je faisais d'ordinaire. J'arrivai à la sainte Table. Quand j'y fus agenouillée, grand Dieu voilà que Jacquette se retire des mains de son frère et vient s'agenouiller auprès de moi, toute seule, sans que personne la soutienne, sans que personne la guide Mon émotion redoubla et je ne puis dire ce qui se passa en moi, quand je vis cette innocente, imitant ce qu'elle me voyait faire, prendre la nappe comme pour communier. De la main, je fis signe Monsieur le curé qu'elle ne devait point communier, et je revins a ma place. Elle me suivit. Elle s'assit; elle resta assise sans avoir besoin d'être soutenue. Ses pieds avaient repris leur position naturelle. Elle était toute joyeuse. A la bénédiction du prêtre, voyant tout le monde se mettre à genoux, elle se lève sans être aidée, et, prenant une chaise sur laquelle elle était assise, elle la tourne avec adresse et s'agenouille dessus. « Mon vœu était accompli. Je repartis de suite, le cœur ravi et plein de reconnaissance pour une guérison si prompte. Ni mes enfants, ni moi, ni la personne qui nous accompagnait, nous ne songeâmes seulement à manger. Nous arrivâmes à Toulouse vers les trois heures après-midi. Dès que nous fûmes arrivés devant la maison, Jacquette apercevant son père, se mit à crier: « Je suis guérie'Prenez-moi dans vos bras, et puis mettez-moi à terre, et vous verrez comme je marche bien, et comment Germaine Cousin ma rendu la santé. « En effet, le père la prit sur ses bras, puis la posa à terre et la vit marcher à l'instant même,' en présence des habitants du quartier, qui est très populeux. Elle marchait libre et agile, sans fatigue, sans la moindre difficulté. Elle était bien guérie, et, depuis ce jour, elle n'a plus ressenti aucun mal ».


Philippe Luc, enfant du village de Cornebarrieu, avait environ douze ans, lorsqu'il éprouva dans la hanche des douleurs très-vives que le moindre mouvement excitait et qu'on ne put faire disparaître. Après deux ans, il y vint une tumeur qui perça sous l'action d'un onguent et qui se ferma après avoir légèrement suppuré, mais qui ne tarda' pas à se rouvrir avec un caractère inquiétant. Trois habiles médecins, consultés tour à tour, reconnurent une fistule. Elle était large de deux lignes, profonde de deux pouces, livide et violacée; les bords de l'ouverture étaient abaissés et calleux. On conseilla au malade de se faire porter à l'hôpital Saint-Jacques de Toulouse. Là, pendant deux mois consécutifs, les médecins le soignèrent avec tout le zèle possible, mais sans résultat. La fistule avait toujours fait des progrès elle arrivait jusqu'à l'os, qui commençait à se carier. L'enfant sortit de l'hôpital et revint à Cornebarrieu plus malade qu'il n'était parti. Ce fut alors qu'il sentit naître en son cœur une vive confiance qu'il obtiendrait sa guérison par l'intercession de la bienheureuse Germaine. Cornebarrieu n'est qu'à une lieue de Pibrac; mais c'était une longue distance pour le pauvre malade. Il partit néanmoins à pied, avec sa mère, souffrant des douleurs si aiguës, qu'il fut obligé de s'arrêter assez longtemps à moitié chemin. Enfin il arrive, il entend la messe et prie auprès du tombeau de Germaine. Il n'obtient rien, mais il ne perd ni confiance, ni espoir. Durant le retour, il s'excitait dans ses sentiments, disant à sa mère que Germaine lui accorderait certainement plus tard ce qu'elle semblait encore lui avoir refusé. Rentré chez lui, il se coucha, et sa mère, ayant enveloppé la plaie des linges qu'ils avaient posés sur le corps de la Bienheureuse, il s'endormit paisiblement. Après un court sommeil, Philippe appela sa mère et lui demanda de panser de nouveau sa plaie. Elle accourt avec empressement comme elle avait coutume de faire. Elle enlève les linges ils étaient secs, la fistule était entièrement fermée. Les médecins furent frappés d'étonnement « Je restai stupéfait », dit M. Laurent Stevenet, l'un d'eux, « quand on me présenta cet enfant parfaitement guéri. J'examinai l'endroit où était la plaie une cicatrice bien formée indiquait que le mal avait existé; mais maintenant il n'existait plus; il n'y avait aucune difformité dans l'os, pas la moindre disposition au retour du mal. La fistule était fermée, aucune autre ouverture ne s'était faite. Je dois indiquer encore un caractère merveilleux de cette guérison c'est la mobilité de la peau et la reprise du tissu fibreux qui forme la cica- trice intérieure de la cavité fistuleuse ».


Germaine fut béatifiée par le pape Pie IX, le 7 mai 1854. Il serait trop long de décrire avec quelle pompe, quelle piété, quel concours de fidèles, on célébra aussitôt des fêtes en l'honneur de la Bienheureuse, à Toulouse et à Pibrac. Dans ce village, patrie de Germaine, la sainte communion fut distribuée à huit mille personnes, et beaucoup furent obligées de se retirer de l'autel, tristes et résignées, sans avoir pu apaiser leur faim spirituelle. En trois jours, environ soixante-dix mille fidèles, au fort de la moisson, par des journées très-chaudes et après une année de disette, accoururent dans un petit village honorer une bergère; on se pressait pour baiser, voir ces ossements, auxquels, lorsqu'ils faisaient partie d'un corps vivant, on refusait un abri sous le chaume, et qu'on vénère aujourd'hui dans une châsse reluisante d'or et de lumière, en attendant que, réunis à l'âme, ils participent à sa gloire immortelle. Monseigneur Pie, évêque de Poitiers, et le R. P. Corail, de la Compagnie de Jésus, ont fait l'éloge de la Bienheureuse; le discours du vénérable et éloquent successeur de saint Hilaire se trouve à la fin de la Vie de la bienheureuse Germaine, par M. L. Veuillot. Apprenons surtout, en méditant cette vie pauvre, humble et cachée, que le Seigneur abat la fausse grandeur, confond la fausse science et la fausse sagesse, et qu'il relève l'humble et celui qui fait passer avant toutes les sciences celle de Jésus crucifié. Notre bergère n'a jamais fréquenté d'autres leçons que celles de la religion. a On se demande si elle savait lire », dit Mgr l'évêque de Poitiers, « et tout porte à croire que, de l'alphabet, elle ne connut jamais que le signe que nos pères n'oubliaient jamais de mettre au frontispice de l'Abécédaire chrétien je veux dire ~a Croix de Dieu. Mais ce qu'elle apprit sous l'empire de la grâce divine, à l'école de cette croix du Sauveur et à celle des secrètes inspirations de l'Esprit-Saint, lui tint lieu de toutes les autres connaissances. Son ignorance fut si savante, sa simplicité si éclairée aux yeux de Dieu, que, non content de lui donner dans les cieux l'auréole des élus, il a voulu glorifier son tombeau, depuis deux siècles, par une série non interrompue de miracles, et couronner enfin sa tête du nimbe radieux par lequel l'Eglise signale juridiquement la sainteté de ses enfants ». Le 29 juin 1867, le souverain pontife Pie IX, après avoir approuvé de nouveaux miracles, l'inscrivit au livre des Vierges. On peut la représenter avec une houlette, un chien de garde ou un simple mouton, pour marquer l'office de bergère qu'elle remplissait; avec des fleurs dans son tablier, ou avec une quenouille.


Texte extrait des Petits Bollandistes volume 7



28/06/2009
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