Spiritualité Chrétienne

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Vie de Sainte Claire par Thomas de Celano 2e partie

Vie de Sainte Claire par Thomas de Celano, 2e partie

Chapitre 13
Comment Dieu envoya miraculeusement de l'huile à Madame Sainte Claire


Un autre jour, il arriva que l'huile manquait complètement dans le monastère et qu'on ne pouvait apprêter quelques mets pour les malades. Ce qu'apprenant, la très pieuse Mère appela le frère quêteur Bentivengha et le pria d'aller quérir de l'huile. Celui-ci répondit. « — Apprêtez-moi la jarre. » La vierge Claire, maîtresse en humilité, prit elle-même un vase et le lava de ses propres mains, puis le posa vide sur un appui du mur qui était auprès de la porte du couvent afin que le Frère le prit. Ce Frère très dévot vint en toute hâte le chercher pour soulager au plus tôt la grande misère de ses pauvres sœurs. Mais avant qu'il arrivât, Notre-Seigneur, dans sa douce miséricorde, accédant aux prières de Madame Sainte Claire, avait rempli la jarre d'huile pour la consolation des Pauvres Dames. Quand le Frère s'en saisit, il s'aperçut qu'elle était pleine. Croyant qu'on l'avait appelé en vain, il murmura, disant : « — Ces Sœurs se moquent de moi, elles me font venir pour chercher de l'huile alors que leur vase en déborde. » En grande hâte on chercha tout autour du moutier qui avait pu mettre l'huile, mais on ne trouva personne. Ceci arriva dans la seconde année de l'installation à Saint-Damien.


Chapitre 14
Des tourments que Madame Sainte Claire fit endurer à sa chair.


Il serait plus facile de taire que de raconter les incroyables tourments par lesquels cette vierge Dénie macérait sa chair virginale. Ceux qui les connaissent en sont ébahis. Qu'elle ne portât jamais qu'une rude tunique et un vilain manteau d'étoffe grossière qui servaient plus à couvrir qu'à chauffer son maigre corps, rien de surprenant. Qu'elle jeûnât strictement en tout temps et n'eût point de lit de plume, il ne faut pas non plus s'en étonner; dans le monastère, d'autres Sœurs faisaient de même. Mais ce qui nous jette dans la stupeur et l'admiration, c'est de savoir que cette très pure vierge s'était procuré des peaux de porcs qu'elle avait cousues ensemble pour les porter secrètement en guise de chemise, sous sa tunique. Aussi les soies piquantes meurtrissaient sa tendre chair et nous pouvons pieusement penser combien convenait mal à ce corps virginal le contact de la bête porcine. De plus, elle s'était fait faire un dur cilice, en crins de cheval tressés avec de gros nœuds; des cordes attachées de chaque côté lui permettaient de le serrer très fort, de telle sorte que les nœuds entraient dans la chair. Cette douce sainte, qui meurtrissait sans pitié son corps tendre et fragile, était pleine de charité pour ses filles qui ne pouvaient endurer semblables austérités. Aucune n'était astreinte à de si cruelles pénitences. Or, un jour, une Sœur très fervente appelée Agnès, non pas celle qui était sœur corporelle de Claire, mais une autre, lui demanda avec instances de lui prêter son cilice de crins. La bonne Mère y consentit et la Sœur l'emporta avec grande joie; mais, lorsqu'elle se sentit toute blessée par les nœuds, elle éprouva de telles souffrances, qu'elle ne put les endurer et pensait en mourir. Elle ôta rapidement cette haire et s'en fut la rendre avec plus d'empressement encore qu'elle ne l'avait demandée. La bienheureuse Claire couchait sur la terre nue ou couverte de sarments, une pierre ou une pièce de bois lui servait d'oreiller ; mais, quand elle eut mené longtemps cette vie, elle devint malade et son corps était si affaibli par tant d'austérités que son père saint François lui commanda d'étendre une natte sur la terre pour prendre son repos et de se mettre sous la tête un peu de paille. Plus tard, lorsque l'excès de ses pénitences l'eut rendue longtemps et gravement malade, par ordre de son séraphique père, elle dut s'étendre sur un sac plein de paille. Son abstinence et ses jeûnes étaient tels, que, sans une grâce continuelle de Dieu, elle n'aurait pas pu vivre. Lorsque sa santé était bonne, elle jeûnait au pain et à l'eau pendant le grand carême et celui de la Saint-Martin; le dimanche seulement, elle prenait un peu de vin, quand il y en avait au monastère. Et, chose inimitable, trois jours alternés par semaine durant le grand carême, elle ne prenait aucune nourriture matérielle et affligeait son corps de dures pénitences; aussi le pain et l'eau des autres jours lui semblaient un festin. Il n'est pas étonnant que de telles macérations aient fini par accabler la douce vierge de nombreuses infirmités qui consumèrent son corps peu à peu. Pleines de pitié, ses très dévotes filles pleuraient et s'affligeaient en voyant cette douloureuse passion qui conduisait leur chère Mère à la mort, car les maladies n'arrêtaient point ses rigueurs. Cependant, il advint que le bienheureux François et l'évêque d'Assise jugèrent que le jeûne de trois jours par semaine, sans rien prendre, était dangereux; avec leur autorité de supérieur et d'évêque, ils interdirent à Madame Sainte Claire de passer une journée sans prendre au moins une once et demie de pain. Généralement, les maladies mettent la tristesse et l'amertume dans l'âme ; chez Claire, au contraire, il semblait que la souffrance corporelle fît croître l'amour divin et la joie intérieure. Malgré ses pénitences, elle gardait un visage joyeux, comme si rien ne la faisait souffrir, ou que la grâce de Dieu lui fît dédaigner toutes les afflictions temporelles. Les peines corporelles la réjouissaient, parce qu'elles allègent les lassitudes du cœur. Cette glorieuse vierge réalisait pleinement cette sentence : « Rien n'est impossible, ni dur, ni difficile à l'amour. »


Chapitre 15
Comment Madame Sainte Claire s'exerçait en sainte oraison.


La très dévote vierge étant toute morte au monde, son âme s'adonnait sans cesse à l'oraison et aux saintes méditations. Elle employait tout son temps à louer Dieu, ses aspirations et ses ardeurs étaient fixées au ciel. Son âme, ne goûtant plus aux choses terrestres, s'ouvrait largement à la rosée divine. Après complies, elle restait longtemps en prière dans l'église avec ses Sœurs et répandait une telle abondance de larmes que celles-ci, toutes émues et désolées, se mettaient à pleurer. Mais lorsque les autres allaient réconforter sur de dures couches leurs membres fatigués, la séraphique Claire prolongeait sa veille sans se laisser vaincre par le sommeil, afin de recueillir furtivement les filets d'eau du murmure divin. Elle s'agenouillait alors devant l'autel et repassant dans son âme la passion du Sauveur, elle se répandait en larmes et en plaintes amoureuses. Souvent, elle s'étendait par terre et pleurait si tendrement qu'il semblait qu'elle pleurât sur les pieds de Jésus en les tenant doucement embrassés. Tandis qu'elle était ainsi en oraison, le démon lui donnait fréquemment de tels soufflets que le sang lui sortait par les yeux, le nez et la bouche, mais rien ne la faisait interrompre sa prière. Une nuit, pendant qu'elle pleurait, il advint que l'ange des ténèbres lui apparut sous la forme d'un enfant noir qui, l'admonestant, lui dit : « — Pourquoi tant pleurer ? Cesse désormais de verser toutes ces larmes, sinon tu deviendras aveugle. » Elle lui répondit : « — Celui qui verra Dieu ne sera pas aveugle. » Alors le mauvais esprit, confus, s'enfuit. Cette même nuit, après matines, la bienheureuse Claire étant en oraison toute baignée de larmes, le démon revint et lui dit : « — Pourquoi pleurer ainsi ? tu feras si bien, que ta cervelle se résoudra et se corrompra ; tu la rejetteras par le nez et tu auras celui-ci tordu et tout le visage pourri. » Claire lui répondit tranquillement : « — Je demeurerai en oraison et continuerai à pleurer la passion de mon Seigneur et, par sa grâce, je n'aurai pas la cervelle gâtée, ni le visage ni le nez pourris. Car celui qui sert le Très-Haut ne pourra pâtir de rien. » Alors le diable s'évanouit. Ces choses prouvent bien que Dieu épurait l'âme de sa fidèle épouse dans la fournaise de l'oraison et qu'il se plaisait dans sa bonté à lui faire goûter la saveur de sa présence. Aussi, quand cette sainte Mère s'interrompait de prier, elle revenait si heureuse qu'elle disait aux Sœurs des paroles ardentes qui embrasaient leurs cœurs des feux du divin amour. Les dites Sœurs s'émerveillaient grandement, car il leur semblait que de la bouche de la séraphique Claire s'écoulait une suavité et une douceur inénarrables, il leur paraissait que son angélique visage était plus clair et plus beau après l'oraison, tant il resplendissait de joie; vraiment le gracieux et libéral Seigneur Jésus remplissait de ses rayons sa pauvre petite épouse, de telle sorte qu'elle répandait la lumière divine tout autour d'elle. Elle était donc étroitement unie à son époux Jésus et ne se délectait qu'en lui. Elle fut forte et vertueuse, conservant dans son enveloppe terrestre les précieux trésors du ciel. Si sa chair était sur la terre, son cœur était bien haut en paradis. La dévote vierge avait coutume de se lever la première, puis elle allait réveiller les plus jeunes Sœurs : sans rompre le silence, elle les excitait par ses regards à la ferveur. Souvent alors que les autres dormaient, elle sonnait de ses propres mains la cloche de matines et allumait les lampes de l'église; si une Sœur ne se levait pas au son de la cloche, elle allait la réveiller en la touchant doucement, afin que celle-ci se trouvât avec les autres pour chanter les louanges de Dieu. Jamais elle ne voulait entendre de paroles vaines et défendait que dans le monastère aucune religieuse rappelât un fait du siècle. Lorsqu'elle apprenait qu'une personne du monde avait offensé Dieu, elle versait des larmes amères et, s'agenouillant, priait son céleste époux de l'éclairer; lorsqu'elle pouvait atteindre le coupable, elle le suppliait de revenir à Dieu et de cette manière ramena beaucoup d'âmes au Seigneur. Jamais elle ne demeurait oisive, on la trouvait toujours en prière ou exerçant la charité. En aucun temps, la paresse ni la mollesse n'entrèrent dans le cloître, car la douce vierge entraînait ses Soeurs par sa parole et son exemple. Tout leur temps s'écoulait à servir, louer et prier Dieu. Un jour, après Pâques, la bienheureuse Claire entendit chanter ces paroles : Vidi aquam egredientem de templo a latere dextro, elle en eut une telle allégresse qu'à partir de ce jour elle fit donner l'eau bénite à la communauté après le dîner et après complies et disait : « — Mes Sœurs et mes filles, gardez toujours précieusement en votre âme et votre cœur cette eau précieuse qui sortit du côté droit de Notre-Seigneur Jésus lorsqu'il pendait à la croix ! » Une des Sœurs de Saint-Damien, appelée sœur Benvenuta, de Pérouse, qui fut la troisième à entrer en religion après sainte Claire, vit un jour une si grande lumière au-dessus du lieu où la sainte allait s'enfermer pour prier, qu'elle crut que c'était un brasier matériel, mais s'apercevant qu'il n'en était rien, elle reconnut que c'était la fournaise de la splendeur divine : Dieu montrait ainsi que le feu de l'Esprit-Saint abondait dans le cœur de Madame Sainte Claire, et que ses oraisons étaient brûlantes et embrasées d'amour.


Chapitre 16
Des miracles que firent les oraisons de Madame Sainte Claire et d'abord comment les Sarrazins s'enfuirent merveilleusement de Saint-Damien.


Il est bien juste que l'on dise ici, avec une fidèle exactitude, les nombreuses merveilles que Dieu fit par l'intercession de Madame Sainte Claire. En ce temps-là, la sainte Eglise était secouée parles guerres du schismatique empereur Frédéric et le val de Spolète but le calice amer de sa fureur plus souvent que les autres pays. Le dit monarque avait envoyé dans cette vallée plusieurs escadrons et compagnies de gens armés, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de Sarrazins et de nombreux archers; ils fourmillaient comme un essaim d'abeilles et couvraient toute la terre. Ils brûlaient et démolissaient villes, forteresses et châteaux, coupaient les arbres, rasaient les vignes et les jardins, prenaient hommes, femmes et enfants pour les tuer ou les jeter en prison. Les habitants d'Assise, épouvantés, s'étaient enfuis à leur approche, à l'exception d'un très petit nombre. Bientôt, en effet, la rage des ennemis se tourna vers la cité qui était spécialement chère au Seigneur. Les Sarrazins, gens pleins de malice et de cruauté, toujours prêts à répandre le sang chrétien, coururent d'abord au monastère des Pauvres Dames. Avec une frénétique et bestiale audace, ils entrèrent dans le cloître en escaladant les murs. Les pauvres Sœurs eurent tant d'effroi que leurs cœurs tremblaient dans leurs corps. Tout en larmes, elles se pressèrent au chevet de leur bonne Mère, qui était alors couchée et gravement malade, et lui dirent la raison de leur épouvante. Sans aucune crainte, la douce vierge Claire réconforta ses filles en disant : « — Mes Sœurs et filles, ne craignez rien, si Dieu est avec nous, que pourront nous faire ses ennemis ? Confiez-vous en Notre-Seigneur Jésus-Christ, car il vous délivrera. » Elle se fit alors conduire jusqu'à la porte et mettre devant les barbares. Puis elle ordonna d'apporter le corps de Notre-Seigneur, lequel était précieusement enfermé dans une petite cassette d'argent, recouverte d'une autre en ivoire. La séraphique Claire recommanda à la Fleur de la virginité, Notre-Seigneur Jésus-Christ, celle de ses filles, et, se prosternant à terre, le pria avec beaucoup de larmes, disant : « — Te plaira-t-il, mon doux Jésus, que tes servantes sans défense, que j'ai toujours nourries du lait savoureux de ton très doux amour, tombent maintenant aux mains de ces païens ? O mon Seigneur Jésus ! qu'il te plaise de garder tes pauvres servantes, car je ne les puis sauver maintenant ! » Lorsqu'elle eut dit ces paroles, Madame Sainte Claire et les deux Sœurs qui la soutenaient, sœur Françoise de Colle di Mezzo et sœur Illuminata, de Pise, ouïrent une voix d'enfant qui répondit avec une infinie douceur. « — Je vous garderai toujours. » Claire répliqua : « — Je te prie, mon Seigneur, s'il te plaît, de garder aussi cette ville, car pour ton amour elle nous donne de quoi vivre. » Et Notre-Seigneur répondit encore : « — La ville n'aura aucun mal par ma grâce, et pour ton amour, je la délivrerai. » A cette voix merveilleuse, le visage de la sainte fut irradié de lumière, de sorte que les Sœurs étaient en grande admiration ; la séraphique vierge, levant vers le ciel ses yeux pleins de larmes, commença à réconforter ses filles, leur disant : « — Je vous commande, mes belles filles, de vous consoler et de n'avoir aucune peur, ayez confiance et espérance en Dieu, car les Sarrazins ne vous feront pas de mal. » Chose admirable, soudain tous ces méchants chiens qui étaient entrés avec tant de férocité dans le cloître furent saisis d'un si grand effroi que, remontant par-dessus les murs, ils s'enfuirent en hâte. Et c'est ainsi qu'ils furent chassés par la vertu de l'oraison de Madame Sainte Claire. Ni les Sœurs, ni le moutier, ni le jardin ne subirent aucun dommage, et peu après les Sarrazins partirent sans troubler la cité d'Assise. Cette invasion de Saint-Damien eut lieu au mois de septembre, un vendredi, à trois heures environ, et la très douce vierge Claire, ce soir-là, dans sa profonde humilité, appela les deux Sœurs qui seules avaient ouï la voix et leur commanda de n'en parler à personne tant qu'elle vivrait.


Chapitre 17
Comment l'oraison de Madame Sainte Claire sauva des Sarrazins la cité d Assise.


Une autre fois, un homme avide de gloire, nommé Vitale, de la cité d'Aversa, qui était hardi au combat et capitaine d'une compagnie que Frédéric lui avait donnée, dirigea ses troupes sur la ville d'Assise. Il fit raser les arbres et dévaster la terre tout alentour, brûla les maisons et entoura la cité afin de l'assiéger, jurant qu'il ne partirait pas avant de l'avoir prise. Au bout de quelque temps, la ville n'eut plus aucun espoir, tous les habitants tremblaient. Claire, à cette nouvelle, ressentit une grande pitié; elle fit appeler incontinent toutes les Sœurs et leur dit : « — Mes très douces filles, vous savez en quel grand péril est notre cité, vous n'oubliez pas que nous recevons d'elle chaque jour beaucoup de bien ; il y aurait ingratitude à ne pas la secourir comme nous le pourrons. » Le matin suivant, la fervente vierge fit revenir les Sœurs et enjoignit à l'une d'elles qui se nommait sœur Christine, d'Assise, d'apporter de la cendre, puis elle dit à toutes de découvrir leur tête; la première, elle mit la sienne toute nue et la coiffa de cendres, puis elle en fit autant aux autres et leur dit : « — Allez, mes chères filles, faire oraison et demandez à votre très doux époux et Seigneur, Jésus-Christ, la délivrance de la cité. » Et maintenant, comment narrer chaque détail ? Qui pourrait dire combien de larmes furent versées dans ce saint monastère et combien de prières et d'effusions montèrent vers le Seigneur? Le Dieu miséricordieux les agréa, et fit si grand'peur aux Sarrazins qu'ils s'enfuirent avec leur capitaine, abandonnant le siège. Assise fut depuis lors toujours en paix, car le susdit capitaine Vitale fut peu après assassiné. A partir de ce jour, dès qu'un péril était à craindre, les Sœurs se mettaient en oraison et jeûnaient toutes au pain et à l'eau, quelques-unes ne prenaient aucune nourriture, ceci par ordre de leur sainte mère. Et la miséricorde de Dieu ne leur résista jamais.


Chapitre 18
Comment Madame Sainte Claire chassait merveilleusement les démons.


Il n'est pas bien extraordinaire que les oraisons de Madame Sainte Claire fussent si puissantes contre la malice des hommes puisque leur vertu brûlait les démons et les chassait comme le démontre clairement ce qui suit. Un jour, une femme du diocèse de Pise vint au monastère de Saint-Damien pour rendre grâce à Dieu et pour remercier Claire, parce que, disait-elle, par les mérites de cette très pure vierge, elle avait été délivrée de cinq démons. Venant au parloir, elle narra aux Sœurs, qu'en sortant de son corps, les mauvais esprits avaient crié :« — Nous ne pouvons plus rester, parce que la renommée de Claire, vierge de la cité d'Assise, est venue en ce lieu et non seulement nous sommes chassés d'ici, mais encore serons-nous expulsés avec honte de tous les endroits où parviendra l'odeur de sa sainteté et de ses vertus. » Ils confessèrent aussi, ajouta-t-elle, que les ferventes oraisons de la très pure vierge les brûlaient et les torturaient tous. Le pape Grégoire IX avait grande foi et dévotion aux prières de Madame Sainte Claire, et ce n'était pas sans raison, car il en avait éprouvé la puissance, non seulement dans le temps de son pontificat, mais déjà quand il était cardinal et évêque d'Ostie, protecteur de l'Ordre. A cette époque, sainte Claire lui avait prédit qu'il serait vicaire de Jésus-Christ. Lorsqu'il avait quelque tribulation ou souci, comme cela arrive aux uns et aux autres, aussi bien pape que cardinal, il réclamait à la glorieuse vierge son intercession. Pape, il lui écrivait familièrement, se recommandait à ses prières et se sentait souvent réconforté et soulagé. Nous donnerons ici une de ses lettres afin que l'on connaisse la grande dévotion et la confiance qu'il avait dans les prières de Claire.


Chapitre 19
Ceci est la copie d'une lettre envoyée à Madame Sainte Claire, au monastère de Saint-Damien, par Messire Hugolin, cardinal évêque d'Ostie, protecteur de l'Ordre des Pauvres Dames, qui devint pape sous le nom de Grégoire IX.


« Très chère soeur dans le Christ et sa mère, Madame Claire, servante du Christ, Hugolin misérable pécheur, évêque d'Ostie, se recommande à toi tout entier. Très chère soeur dans le Christ, depuis cette heure où la nécessité de partir m'a privé de vos saintes conversations et sevré de leurs célestes bienfaits, si grande est l'amertume de mon cœur, l'abondance de mes larmes, l'âpreté de ma douleur, que, si je ne retrouve pas aux pieds de Jésus les consolations habituelles de la piété, — lesquelles je crains bien de ne pas retrouver en de telles angoisses, — je pense que la vie me manquera et que mon âme sera toute liquéfiée, non sans raison. Quelles joies ne goûtai-je pas lorsque célébrant la Pâque avec toi et toutes tes sœurs servantes du Christ, je vous parlais des merveilles eucharistiques! C'était trop de bonheur ! De même que les disciples ressentirent une immense tristesse quand le Seigneur leur fut ravi et fixé au gibet de la croix, je reste de votre absence très désolé. Bien que, jusqu'à cette heure, je me sois reconnu et dit pécheur, en voyant la grandeur de vos mérites et l'austérité de votre règle, j'ai mieux compris combien est grand le poids des péchés dont je suis Chargé. J'ai tant offensé le Seigneur que je ne suis pas digne d'être compté dans la compagnie de ses élus, ni d'être dégagé des soucis terrestres, si tes larmes et tes prières ne m'obtiennent pas la rémission de mes fautes. Je te confie donc mon âme et je te recommande mon esprit, comme Jésus sur la croix se recommandait à son Père. Et au jour du jugement tu auras à me répondre, si tu ne t'es pas préoccupée de mon salut. J'espère donc que les instances de tes prières et l'abondance de tes larmes obtiendront du Juge suprême tout ce que tu demanderas. Messire le Pape ne va pas présentement à Assise, mais je désire vous voir : toi et tes sœurs, à la première occasion. Salue Agnès, ma vierge et sœur dans le Christ, et toutes tes autres sœurs et filles dans le Christ ; que le Seigneur Jésus soit toujours avec vous toutes. Amen. » Nous pouvons bien imiter la dévotion d'un tel homme à l'humble servante du Seigneur. Il connaissait la puissance de l'amour et savait que les vierges trouvent toujours libre accès au pied du trône de l'éternelle Majesté. Si le Roi du ciel se donne lui-même à ceux qui l'aiment ardemment, comment refuserait-il d'exaucer leurs prières ?


Chapitre 20
Comment Madame Sainte Claire avait reçu l'esprit de prophétie.


On reconnaîtra par ce qui suit que la glorieuse vierge Claire avait l'esprit de prophétie. Saint François, son bienheureux père, lui envoya un jour cinq dames afin qu'elles fussent reçues dans le monastère. Mais Claire, sur les cinq, n'en accepta que quatre et dit qu'elle ne consentait pas à recevoir la cinquième. Or celle-ci était une femme de bien, nommée Madonna Galdia, fille de Jaccolo. La Sainte, pressée de l'accueillir, répondit qu'elle ne le voulait pas, parce que Madonna Galdia ne persévérerait pas trois années dans le couvent. Néanmoins, comme on l'importunait, elle finit par lui en ouvrir la porte. Or, cette personne, avant six mois, quitta le monastère. Ainsi se manifesta l'esprit prophétique de la sainte. Un chevalier d'Assise, appelé messire Hugolin di Pietro Girandone, avait abandonné sa femme, Madonna Guiduccia, et l'avait renvoyée chez son père. Il vivait sans elle depuis vingt-deux ans ou plus; personne n'avait jamais pu obtenir qu'il la reprît et la ramenât chez lui, bien que souvent des religieux et des séculiers l'en eussent prié. Un jour, Madame Sainte-Claire lui fit dire qu'une vision lui avait révélé que lui, messire Hugolin, reprendrait bientôt sa femme et qu'il aurait d'elle un fils, ce dont il se réjouirait grandement. Ayant ouï ce message, messire Hugolin se mit à rire, mais, peu de jours après, Dieu permit qu'il fût pris d'une si violente passion qu'il alla chercher sa femme. Gomme la bienheureuse Claire l'avait prédit, elle lui donna un fils, ce qui lui causa une vive allégresse. Après la mort de la sainte, messire Hugolin narra ce fait publiquement.


Chapitre 21
De l'admirable dévotion qu'avait Madame Sainte Claire au Saint-Sacrement de l'autel.


Les faits démontrent en quelle grande dévotion et en quel respect la bienheureuse vierge Claire tenait le très Saint-Sacrement de l'autel. Couchée pendant une longue et grave maladie et ne voulant pas rester oisive, elle se faisait soulever et asseoir dans son pauvre lit ; puis, soutenue des deux côtés, afin de ne pas tomber, elle filait. Elle fila ainsi une toile très légère dont elle fit faire beaucoup de corporaux. Les Sœurs franciscaines de Colle di Mezzo qui les comptèrent assurent qu'il y en avait cinquante paires. Après que les Sœurs les eurent confectionnés, Madame Sainte Claire commanda des boites de carton pour les y enfermer; elle les fit recouvrir et doubler de soie, de pourpre ou d'amarante, puis les envoya à l'évêque d'Assise afin qu'il les bénit. Les Frères les distribuèrent aux églises pauvres qui s'élevaient dans la plaine et dans la montagne tout autour d'Assise. On en donna aussi à de pauvres prêtres qui venaient au monastère. Quand la séraphique vierge se préparait à communier, elle versait d'abondantes larmes, puis elle allait recevoir Notre-Seigneur avec un respect et une crainte qui ne se peuvent dire, car elle ne doutait pas que ce fût celui qui gouverne le ciel et la terre. Un jour qu'elle était malade et que le prêtre lui apportait la sainte communion, sœur Françoise vit, sur la tête de Madame Sainte Claire, une grande lumière, et il semblait à la Sœur que la sainte hostie était un petit enfant très beau. Après la communion, Claire se mit à trembler et à pleurer comme d'ordinaire, en disant ces paroles : « Le Dieu tout-puissant m'a accordé aujourd'hui une grande grâce. » L'évêque de Spolète demanda à sœur Françoise si une autre Sœur avait été témoin de cette merveille ; celle-ci répondit qu'elle ne savait pas ce qui concernait les autres, mais que pour elle, elle l'avait vue manifestement. Une autre fois, le jour des calendes de mai, cette même sœur Françoise vit, sur la poitrine de la sainte, un ravissant petit enfant, dont la grâce était telle que la langue ne peut l'exprimer. La Sœur, en le regardant, sentit dans son âme une suavité et une douceur inénarrables, aussi crut-elle, sans aucun doute, que cet enfant était Jésus-Christ, fils de Dieu. Sœur Françoise raconta encore qu'au même moment, deux splendides ailes, brillantes comme le soleil, se posèrent sur la tête de la sainte ; elles se levaient et s'abaissaient, la couvrant tout entière. L'évêque de Spolète ayant demandé à la Sœur si d'autres avaient contemplé ce spectacle, elle répondit que non, et qu'elle-même n'en avait jamais parlé à personne, mais qu'elle le révélait à présent, pour la gloire de Dieu et de sa sainte mère Claire qu'elle aimait tant.


Chapitre 22
Comment les animaux obéissaient à Madame Sainte Claire à cause de son innocence.


La susdite sœur Françoise raconte encore qu'une fois sainte Claire étant malade et ne pouvant pas se lever, réclama une certaine petite nappe; comme on avait oublié de la lui donner, une chatte qui était dans le monastère se mit à tirer et à traîner la dite nappe afin de l'apporter comme elle pouvait à Madame Sainte Claire. Ce que voyant, celle-ci lui dit : « — Malheureuse! tu ne sais pas la tenir, pourquoi la traînes-tu par terre ? » Alors la chatte, comme si elle eût compris, se mit à plier la nappe afin de pouvoir la porter sans qu'elle effleurât le sol. Sœur Françoise rentrant peu après, la bienheureuse lui narra ce fait. La même religieuse avait depuis six ans une grave maladie. Lorsque les crises la prenaient, elle se mettait à crier très fort et perdait connaissance. Dès que la glorieuse Mère fut morte, elle lui fit un vœu et fut guérie instantanément ; ses crises ne reparurent jamais.


Chapitre 23
De l'admirable consolation que Dieu accorda à Madame Sainte Claire, durant une de ses maladies.


Lorsque la glorieuse vierge Claire était malade, elle méditait toujours en son cœur la Passion de son bien-aimé Jésus. Aussi son bon Seigneur daignait la visiter et la consoler. Une fois, à l'heure de la naissance de l'Enfant Jésus, quand le monde se réjouit avec les anges et les saints, toutes les Pauvres Dames s'en allèrent en leur église et, toutes chagrines, laissèrent seule leur sainte mère. Celle-ci se mit à penser avec douceur au petit Jésus et à la Nativité et elle était toute dolente parce qu'elle ne pouvait, en une telle nuit, entendre la messe avec les autres Sœurs, ni célébrer matines, ni chanter les autres hymnes dévotes de la Nativité. Elle soupirait : « — O Seigneur, mon Dieu, voici que je te suis laissée ici toute seule. Mon très doux Jésus, je me recommande à ta Majesté. » A ce moment, l'admirable et mélodieux concert qui résonnait en l'église Saint-François retentit à ses oreilles, de sorte qu'elle entendait clairement la suave harmonie des cantiques, le jeu des orgues, les paroles de l'office de matines et les messes que disaient les Frères. Elle voyait toutes choses avec les yeux de l'âme comme si elle eût été présente corporellement, ce qui ne pouvait être que le résultat d'un miracle divin, car Saint-François était trop loin de Saint-Damien pour qu'il lui fût possible de rien entendre humainement. Lorsqu'arriva le matin et que ses chères filles revinrent auprès de Madame Sainte Claire après que fut fini l'office de leur église, elles lui dirent : « — O Mère très chère, quelle grande consolation nous avons eue en cette nuit ! et combien nous aurions souhaité qu'il plût au Seigneur que vous fussiez avec nous ! » Mais sainte Claire leur répondit : « — Béni soit Notre-Seigneur Jésus-Christ, mes belles et douces filles, car lorsque vous m'avez quittée, il ne m'a pas laissée seule. Avec son assistance et sur l'intercession de mon bienheureux père saint François, j'ai été transportée en esprit dans l'église de mon glorieux père et j'y ai célébré toute la fête. « Et donc, mes très chères filles, réjouissez-vous d'une grâce si merveilleuse qui m'a été accordée et remerciez avec moi mon très doux Seigneur Jésus-Christ. »


Chapitre 24
Du fervent amour que Madame Sainte Claire portait à la Croix.


Les souffrances et la mort du Sauveur étaient l'objet de ses méditations familières et lorsque la bienheureuse Claire songeait aux plaies de Jésus-Christ, elle était remplie d'amertume et de désolation. La pensée des larmes et des souffrances du Christ lui transperçait le cœur comme un glaive. Le très grand amour de Dieu dont son âme débordait s'épanchait au dehors, et lorsqu'elle apprenait à ses filles, spécialement aux novices, à contempler très tendrement Jésus crucifié, à méditer et pleurer sa Passion, elle ajoutait l'exemple à la leçon et bien souvent, avant même qu'elle pût rien dire, elle était tout embrasée et arrosée de larmes. Chaque jour, entre sexte et none, elle affligeait son corps et se donnait avec plus de componction et d'amour à Jésus-Christ afin de s'immoler avec lui; elle disait qu'en un tel moment elle ne pouvait assez pleurer. Une fois qu'elle priait seule à l'heure de none dans sa cellule, avec la permission de Dieu le démon tortura si cruellement sa mâchoire que tout à coup son œil fut couvert de sang et sa joue devint livide et noire ; mais loin de quitter l'oraison, elle demeura immobile et, à force de prières, réussit à vaincre et à chasser le diable. La pieuse vierge avait l'habitude de répéter souvent l'oraison des cinq plaies afin que son âme pût goûter sans interruption les délices de Jésus crucifié. Elle récitait aussi, fréquemment, le petit office de la sainte Croix, comme le grand passionné du calvaire, son père saint François, le lui avait enseigné et ordonné. Toutes les nuits, elle se flagellait avec une discipline de cinq cordes à nœuds, et, afin de partager les souffrances des cruelles blessures de son Sauveur, elle ceignait sa chair nue d'une corde, nouée en forme d'anneaux.


Chapitre 25
De ce qui arriva à Madame Sainte Claire en un certain anniversaire de la Passion du Seigneur.


Il advint une fois, le jour de la commémoration de la Cène, où l'on se souvient que le Seigneur donna les plus grandes preuves de son amour à ses bien-aimés disciples, il advint donc que vers l'heure de l'agonie de Jésus, Claire, dolente et abattue, se renferma en sa cellule et, contemplant Dieu longuement, considérant avec quelle mansuétude le doux agneau Jésus-Christ s'était laissé prendre dans le jardin, maltraiter, blesser et railler, son âme devint triste jusqu'à la mort. Brisée de fatigue, elle alla s'asseoir sur son lit et alors elle devint toute rigide et ravie hors de ses sens, ayant perdu la notion de son corps; ses yeux corporels, immobiles, regardaient sans voir, et les yeux de son âme étaient fixés en Dieu. Elle ne percevait rien des choses d'ici-bas et elle resta ainsi toute la nuit et le jour suivant. Lorsque Madame Sainte Claire était en extase, une de ses filles à laquelle elle se confiait plus intimement allait souvent la voir, car la bienheureuse Mère lui avait parfois dit : « — Quand tu verras que je suis trop longtemps hors de moi, que je ne vais plus parmi vous, viens à moi, mais ne me parle pas. » Donc, à diverses reprises, la Sœur alla vers elle, pour s'assurer qu'il ne lui manquait rien, mais elle la trouvait toujours ravie. Le samedi saint, à l'heure de matines, la susdite Sœur revint, elle alluma une chandelle et par des signes rappela à sa sainte Mère le commandement de saint François qui était qu'elle ne laissât pas passer de jour sans manger. La séraphique Claire sortit de son extase, et, comme descendant d'un autre monde, dit à la Sœur : « — Ma douce fille, quel besoin de cette chandelle? ne fait-il pas jour? « — Bonne Mère, répliqua-t-elle, la nuit s'en est allée, le jour a passé et une autre nuit est revenue. « — Belle et très chère fille, répondit Claire, béni soit ce sommeil, car je l'ai longtemps désiré et le Seigneur me l'a donné! Mais, garde-toi bien de le dire à personne tant que je serai vive ! »


Chapitre 26
Des nombreux miracles que fît Madame Sainte Claire par le signe de la croix.


Quand le doux Seigneur crucifié vit combien Madame Sainte Claire l'aimait, il lui accorda le privilège d'accomplir des miracles par sa Croix sainte. Dès qu'elle faisait sur les malades, de quelque infirmité qu'ils fussent atteints, un signe de croix, les maladies s'en allaient. De ses nombreux miracles nous allons narrer quelques-uns.


I. — Guérison d'un Frère qui était furieux.


Un Frère mineur qui se nommait Etienne était travaillé de folie furieuse. Saint François l'envoya à Madame Sainte Claire afin qu'elle fit sur lui le signe de la croix, car le bienheureux Père connaissait les perfections et la sainteté de la fidèle épouse du Christ et vénérait ses vertus. Il dirigea donc le susdit Frère vers le moutier de Saint-Damien. Claire qui était obéissante marqua celui-ci du sceau divin et le laissa dormir un peu, là où elle faisait d'ordinaire oraison. Après qu'il eut reposé quelques moments, il se leva guéri et s'en retourna plein d'allégresse vers son père François.


II. — Guérison d'un lépreux.


Un homme qui s'appelait aussi Etienne était couvert de la lèpre à tel point que, des pieds au sommet de la tête, son corps n'était qu'une plaie. Il alla vers saint François pour être guéri, celui-ci l'envoya à Madame Sainte Claire : d'un signe de croix, le malade fut complètement nettoyé et guéri de tous ses maux.


III. — Guérison d'un enfant de Spolète.


Un bambin de Spolète, nommé Mathieu, âgé de trois ans, imprudent comme les enfants, s'introduisit une petite pierre dans la narine; il l'avait enfoncée si fort et elle était allée si haut que personne, ni lui-même, ni le médecin, ne venait à bout de l'extraire. L'enfant souffrait à tel point que sa vie était en péril et qu'il semblait à demi mort. Les parents recoururent à Madame Sainte Claire ; ils lui portèrent leur fils et lorsqu'elle l'eut marqué du signe de la croix, il éternua tout à coup, et la petite pierre se jetant hors de son nez, il se leva tout à fait sain.


IV. — Guérison d'un enfant de Pérouse qui était borgne.


Un autre enfant, de Pérouse, avait un œil recouvert d'une vilaine tache, en sorte qu'il n'y voyait pas et aucun remède n'avait pu le guérir. On le conduisit à la séraphique vierge ; elle toucha l'œil de l'enfant en y imprimant très fort le signe de la croix, puis elle dit: « — Menez-le à ma mère afin qu'elle fasse aussi sur lui ce signe. » Sa mère était Madame Ortulana qui avait suivi ses filles bénies et était entrée au monastère de Saint-Damien. Elle y avait reçu l'habit religieux des mains de sa noble fille Claire et, dans la retraite, la dévote veuve servait le Seigneur; elle était arrivée à une telle sainteté que Dieu fit par elle bien des miracles. Madame Ortulana accueillit donc le susdit bébé, le marqua de la croix et incontinent l'œil fut débarrassé de la tache et l'enfant vit la lumière. Cette merveilleuse guérison, grâce à l'humilité de la mère et de la fille, peut être attribuée à toutes deux; mais la vierge Claire assurait qu'elle n'était due qu'aux mérites de sa mère, laquelle affirmait que c'était sa fille qui avait guéri l'enfant.


V. — Guérison d'un enfant d'Assise qui avait les fièvres.


Un autre enfant de cinq ans, fils de messire Jean, d'Assise, procureur des Pauvres Dames, fut conduit à Madame Sainte Claire, parce qu'il avait une forte fièvre avec d'autres maladies. La bienheureuse, l'ayant touché avec le signe de la croix, il fut immédiatement guéri; son père raconta au parloir comment il avait été subitement délivré et peu après l'enfant revint au monastère en parfaite santé.


VI. — Guérison des fistules de sœur Benvenuta d'Assise.


Une Sœur de Saint-Damien, nommée Benvenuta, d'Assise, était gravement malade et souffrait de violentes douleurs parce qu'elle avait sous le bras et à la poitrine de grandes plaies qu'on appelait fistules dans lesquelles on mettait cinq tampons de charpie pour en absorber le pus, car il y avait cinq trous d'où s'écoulait le sang corrompu avec une odeur intolérable. Aucun médecin n'avait jamais pu la guérir et elle supportait ces souffrances depuis douze ans. Un soir qu'elle était accablée de chagrin, Benvenuta s'en fut vers sa sainte Mère qui était couchée et malade. Elle la suppliait en pleurant de la soutenir dans une si cruelle épreuve. Alors la très pure vierge, émue de pitié, descendit de son mauvais lit, et, s'agenouillant par terre, se mit à prier, puis elle se tourna doucement vers sa fille, se signa d'abord elle-même et dit le Pater noster, puis enlevant les pansements qui étaient sur les plaies, elle toucha celles-ci de sa main nue, déposant sur chacune le signe du salut. Instantanément Benvenuta fut guérie de toutes ses fistules qui semblaient incurables et ne se ressentit plus jamais de cette infirmité.


VII. — Guérison de sœur Aimée qui était hydropique.


Une autre des Pauvres Dames de Saint-Damien, qui avait nom Aimée, était malade depuis treize mois d'une grave hydropisie. En outre elle était endolorie par la fièvre et avait au côté une douleur qui la forçait à demeurer couchée. Son corps était si enflé, qu'à peine pouvait-elle incliner la tête. Madame Sainte Claire, qui était fort compatissante, en eut grande pitié; elle fit sur elle le signe de la croix et aussitôt toutes les maladies s'évanouirent. Elle demeura saine et guérie.


VIII. — Guérison de sœur Benvenuta de Pérouse qui avait une extinction de voix.


Une autre servante du Christ, sœur Benvenuta, de la cité de Pérouse, novice au moutier de Saint-Damien, avait depuis deux ans la voix si complètement perdue que, lorsqu'elle parlait, à peine pouvait-on la comprendre. La nuit de l'Assomption de Notre-Dame, une vision lui révéla que la bienheureuse Claire devait la guérir; aussi attendait-elle le jour avec grande impatience. Dès l'aurore, elle s'en alla vers sa très sainte Mère, lui demandant humblement qu'elle la marquât du sceau divin afin qu'elle fût délivrée. Aussitôt, elle recouvra une voix claire et parfaite.


IX. — Guérison de sœur Christine qui était sourde.


Une autre Sœur, du nom de Christine, ayant été longtemps sourde d'une oreille avant d'entrer au monastère, avait été soignée vainement par de nombreux médecins; dès que Madame Sainte Claire, pleine de pitié, eut fait sur elle le signe de la croix et eut manié son oreille, Christine entendit.


X. — Guérison de sœur Babbine qui avait un abcès.


La sœur Babbine, de Saint-Damien, était gravement malade de la fièvre et d'un abcès à la poitrine ; toutes les Sœurs pensaient qu'elle allait bientôt mourir, mais la bienheureuse Mère la marquant du signe de la croix, elle fut complètement guérie. Quelque temps après, cette même Sœur fut affligée d'une grande douleur au côté. Une nuit qu'elle souffrait beaucoup, elle commença à se plaindre et à se lamenter; ce qu'entendant, Madame Sainte Claire lui demanda ce qu'elle avait. La Sœur lui confia son mal, la Mère bénie s'approcha, se fit indiquer l'endroit douloureux et posa dessus un linge qu'elle portait sur la tête ; la douleur disparut incontinent.


XI. — Guérison de sœur Cécile qui souffrait d'une toux continuelle.


Une autre Sœur, appelée Cécile, avait depuis longtemps une toux très violente qui survenait chaque fois qu'elle commençait à manger ; elle toussait tant qu'elle semblait étouffer. Un vendredi, Claire lui donna un peu de galette ; elle la prit en tremblant, et, pour obéir à sa sainte Mère, se mit à la manger ; depuis lors, elle fut complètement guérie.


XII. — Guérison des écrouelles de sœur Andrée.


Il est stupéfiant de découvrir qu'au milieu de toutes ces saintes Dames, enflammées du divin amour, se cachait une âme froide, et, au milieu de ces prudentes vierges, une imprudente. Elle se nommait sœur Andrée, de Ferrare. La dite religieuse avait des ganglions ou scrofules à la gorge et elle était impatiente de guérir. Une nuit qu'elle se trouvait dans une chambre sous le dortoir, elle se serra la gorge si fort avec les mains qu'elle faillit étouffer et perdit connaissance. L'insensée croyait arriver parce moyen à faire entrer les ganglions dans sa bouche et à les cracher; elle voulait ainsi guérir malgré la volonté de Dieu. Sachant ce qui se passait par une révélation, Madame Sainte Claire appela sœur Philippa qui dormait auprès délie et lui dit : « — Cours en hâte vers la chambre au-dessous parce que sœur Andrée s'y trouve gravement malade; chauffe un œuf, porte-le-lui et dis-lui de ma part qu'elle le boive. Lorsqu'elle aura repris connaissance amène-la-moi. » La Sœur fit avec une grande diligence ce que lui avait commandé la sainte Mère; elle trouva sœur Andrée évanouie et presque complètement étranglée par ses propres mains qui serraient étroitement sa gorge. Sœur Philippa la soulagea de son mieux, ensuite elle la conduisit à Madame Sainte Claire. Celle-ci demanda à sœur Andrée ce qui lui était arrivé ou plutôt ce qu'elle avait fait. Et comme elle ne répondait rien, sainte Claire lui raconta exactement tout ce qui s'était passé et ajouta : « — Oh ! malheureuse, confesse au Seigneur ton Dieu tes pensées et tes tentations, car je les ai connues par lui; or, sache maintenant que tu seras guérie par le Seigneur Jésus de ce dont tu as voulu guérir, mais améliore ta vie, car tu auras bientôt une autre maladie dont tu mourras. » A ces paroles la susdite Sœur reçut l'esprit de componction, reconnut humblement sa faute et changea de vie. La pieuse Mère la délivra alors de ses scrofules par un signe de croix. Peu de temps après elle mourut d'un autre mal.


XIII. — Guérison de plusieurs Sœurs qui étaient malades.


Pendant un certain temps, il y eut au moutier de Saint-Damien beaucoup de Sœurs atteintes de langueurs et de diverses maladies. Leur bonne et pitoyable Mère entra un jour dans l'infirmerie où elles gùsaient, pour les visiter, apportant avec elle la bonne médecine dont elle usait si bien. Dès qu'elle eut fait sur les malades cinq fois le signe de croix, cinq des Pauvres Dames se levèrent guéries. Nous pouvons reconnaître après cela qu l'arbre de la vraie croix était bien réellement planté dans le cœur de la très pure vierge Claire ; elle nourrissait les âmes de ses fruit! et les feuilles, c'est-à-dire le signe de la croix étaient la médecine des corps. Une des cinq Sœurs guéries, sœur Pacifique, d'Assise, disait que pour elle et les autre Sœurs, le meilleur remède, lorsqu'elles étaient malades, c'était le sceau divin de leur sainte Mère. Messire Barthélémy, évêque de Spolète chargé par Innocent IV d'examiner la vie et le miracles de cette glorieuse vierge, demanda sœur Pacifique quelles paroles prononça Madame Sainte Claire quand elle signait le malades. La religieuse répondit qu'elle n'entendait pas parce que la pieuse Mère parlait trop bas. « — Mais, ajouta la Sœur, à cause de sa vie toute céleste et angélique, le Seigneur avait donné à Madame Sainte Claire tant de grâces que souvent, lorsque ses filles étaient malade, il lui suffisait de faire le signe de la croix sur elles avec sa très gracieuse main pour qu'elles fussent guéries incontinent. » On n'a pu écrire que très peu de miracles en proportion de ceux qu'elle fit.


XIV. — Comment la porte du monastère tomba sur Madame Sainte Claire, et ce qu'il en advint.


Un soir, comme elle fermait la porte du monastère qui était très grande, il advint que la susdite porte tomba tout entière sur le dos de Madame Sainte Claire. Ce que voyant, une Sœur qui se trouvait seule avec elle, sœur Angèle, de Spolète, cria bien fort, appelant les autres, car elle craignait que sa Mère ne fût morte. A ses cris, presque toutes les Pauvres Dames arrivèrent et considérant l'huis qui était resté sur la Bienheureuse, parce que sœur Angèle n avait pas pu le mouvoir, elles crurent que leur sainte Mère était morte, et se mirent à gémir et à pleurer. On appela les Frères, trois d'entre eux soulevèrent à grand'peine la porte ; on vit alors la douce vierge se lever sans aucune lésion, elle affirma n'avoir pas senti de poids plus lourd que n'eût été celui d'un manteau. Toutes rendirent grâce à Dieu avec allégresse.


Chapitre 27
Comment Madame Sainte Claire mangea une fois avec saint François à Sainte-Marie-des-Anges.


Madame Sainte Claire avait depuis longtemps un très vif désir de partager au moins une fois le repas de saint François ; elle le lui avait exprimé souvent, mais le saint n'avait jamais voulu y consentir. La très pure vierge se recommanda instamment à Notre-Seigneur, le priant de mettre au cœur de son bienheureux père l'inspiration de la satisfaire. Et il plut à Dieu que les compagnons de saint François, témoins du grand désir qu'avait la sainte d'assister à un repas de leur maître, dirent à celui-ci : « — Père, nous croyons que tant de rigueur n'est pas suivant la charité divine, et que tu dois condescendre en une si petite affaire au vœu de notre sœur Claire, très dévote épouse du Christ. Et si même sœur Claire te demandait une faveur bien plus importante, tu aurais encore le devoir de la lui accorder, car elle est ton enfant très parfaite, ta précieuse plante spirituelle ! » Alors François leur dit : « — Il vous semble donc que je doive consentir à ce quelle désire ? » Et les Frères répondirent : « — Certes ! il convient bien que tu lui donnes cette consolation qu'elle attend depuis si longtemps ! » Alors saint François dit : « — Puisqu'il vous paraît que ce doit être, je veux que cela soit. Mais, afin qu'elle ait plus de joie, j'entends que ce repas ait lieu en Sainte-Marie-des-Anges où sœur Claire reçut le saint habit, où nous lui avons coupé les cheveux et où elle s'est fiancée avec Jésus-Christ. » Et donc, selon l'ordre de François, lorsqu'arriva le jour fixé, Madame Sainte Claire quitta Saint-Damien avec une Sœur, et, accompagnée de deux Frères mineurs, elle descendit à la Portioncule. Elle commença par se prosterner pieusement devant l'autel de la sainte Vierge au pied duquel elle avait été vêtue, voilée et consacrée à Jésus-Christ ; ensuite les Frères lui firent visiter le couvent en attendant l'heure du repas. Pendant ce temps, saint François fit préparer le couvert sur la terre nue comme d'ordinaire. On dit le Benedicite ; saint François et Madame Sainte Claire s'assirent ensemble bien dévotement ainsi que l'un des Frères et la compagne de la sainte, puis tous les autres Frères prirent place humblement, pour le repas. Dès le premier plat que l'on servit, le séraphique François se mit à parler de Dieu si suavement et doucement, si hautement et divinement que la plénitude des grâces divines se répandit sur eux et tous furent ravis en Dieu. Tandis qu'ils étaient ainsi dans le ravissement, les yeux et les mains levés vers le ciel, voici que les gens d'Assise et de Bettona et des autres cités d'alentour s'aperçurent que Sainte-Marie-des-Anges, et le couvent tout entier et tout le bois qui s'étendait alors auprès du monastère avaient pris feu et brûlaient avec une intensité extraordinaire. De sorte que les gens d'Assise accoururent précipitamment pour éteindre l'incendie car ils étaient convaincus que tout était en flammes et ils venaient secourir les pauvres Frères. Mais, en s'approchant, ils ne virent plus aucun feu, et, étant entrés, ils découvrirent saint François, sainte Claire et tous les autres, ravis en Dieu autour de leur pauvre repas. D'où ils conclurent que le feu qu'ils avaient vu était un feu non pas matériel, mais céleste, et que Dieu avait fait ce miracle pour leur révéler l'amour divin dont brûlaient les âmes des saints Frères et des Pauvres Dames; si bien qu'ils s'en retournèrent chez eux avec une grande joie dans leurs cœurs, et fort édifiés. Saint François, Madame Sainte Claire et tous les Frères, lorsqu'ils retrouvèrent leurs sens, étaient rassasiés de la nourriture spirituelle et ne se soucièrent plus de celle du corps : ainsi s'acheva ce céleste repas. Madame Sainte Claire, bien accompagnée, regagna Saint-Damien, et les Sœurs eurent grande liesse en la revoyant, car elles tremblaient que saint François ne l'eût envoyée régir quelqu'autre monastère comme il avait déjà mandé sa sœur Agnès au moutier de Monticelli, en la cité de Florence, afin qu'elle en fût Abbesse. Car souvent ce saint Père avait dit à Claire : « — Prépare-toi à te rendre, si besoin est, en quelque lieu que je te mande. » Aussi les Pauvres Dames firent grande fête à son retour. Or il advint que le bienheureux Père François fut pris de doutes sur ce que demandait de lui la gloire de Dieu; il ne savait plus si le bon plaisir divin était qu'il allât par le monde en prêchant ou qu'il demeurât en un lieu solitaire à prier. Comme la glorieuse vierge, Claire, dans ses ravissements et ses extases, recevait de Dieu des lumières sur ses volontés, saint François lui députa frère Masseo afin qu'elle lui fit connaître le bon plaisir de Dieu. Or soudain, à Claire comme à frère Sylvestre que François avait aussi consulté, fut donnée la même réponse : le Saint devait aller prêchant par le monde, afin de conquérir à Dieu les âmes que l'enfer s'efforçait de lui ravir.


Chapitre 28
Comment Madame Sainte Claire instruisait les Sœurs.


La prudente et glorieuse Claire était bien vraiment préposée par Dieu comme Abbesse, mère et maîtresse des épouses de Jésus-Christ, aussi les aimait-elle d'un tendre amour et leur apprenait-elle à bien faire pénitence. Elle leur enseignait d'abord à fuir le bruit du monde afin de mieux pénétrer les secrets de Dieu; à se détacher de leurs parents, de leur maison, de leur pays; à mépriser tous les appétits charnels avec leurs voluptés ; à combattre la sensualité et les aises du corps fragile. Elle les mettait en garde contre la malignité du démon qui connaissait la simplicité de leurs âmes et se cachait avec adresse pour les tenter. Elle les excitait à l'amour de Dieu et leur enjoignait d'être parfaitement fidèles à leur règle. Avec une sollicitude maternelle, elle s'informait de leurs progrès, de leurs difficultés, les exhortait spécialement : d'abord à aimer Dieu, ensuite à se confesser fréquemment et sincèrement de tous leurs péchés, enfin à se souvenir toujours de la passion de Jésus-Christ. Suivant les inspirations de l'Esprit-Saint, elle leur développait bien souvent ces trois points, et c'est ainsi qu'elle leur donna cette solide formation qui se perpétue encore aujourd'hui dans l'Ordre des Pauvres Dames. Claire voulait que certaines heures du jour fussent consacrées à des travaux manuels afin que les Sœurs reprissent ensuite l'oraison avec plus de ferveur. Ainsi, fuyant la paresse et la mollesse, elles chassaient de leur âme l'abominable tiédeur et remplissaient leur cœur des flammes du divin amour. En nul cloître le silence n'était mieux gardé, ni l'honnêteté mieux observée, ni les pénitences plus rigoureuses. Aucune Sœur du moutier ne prononçait parole qui fût légère ou mauvaise, ce qui montre que leurs cœurs débordaient de belles pensées. Leur bonne Mère était très sobre de paroles, bien que tout ce qui sortait de ses lèvres fût chasteté et sainteté. Quand Madame Sainte Claire envoyait les Sœurs tourières hors du monastère, elle leur enjoignait de louer le Seigneur chaque fois qu'elles verraient des arbres bien fleuris et feuillus et qu'elles rencontreraient des hommes ou d'autres créatures, d'avoir en toute occurrence le divin Maître devant les yeux et de n'avoir pas honte en demandant l'aumône, mais de se souvenir que Notre-Seigneur Jésus-Christ s'était fait pauvre en ce monde pour l'amour de nous.

Suite

 



26/03/2009
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